De notre correspondante au Maroc
La tente blanche se dresse sur le bord de la route qui traverse Sidi Moumen… Des portraits du roi Mohamed VI y ont été accrochés et une grande banderole en arabe proclame : « l’organisation démocratique des commerçants et artisans à Sidi Moumen appelle ses habitants à voter oui à la Constitution ». Sous la tente, des commerçants venus expliquer volontairement, disent-ils, les enjeux de la Constitution et appeler à voter oui. « Cette Constitution protège l’islam et les droits de l’homme et elle renforce l’indépendance de la justice », résume Abdul, membre du Parti islamiste pour la justice et le développement (PJD) qui s’est fortement engagé dans la campagne pour le oui. « Aujourd’hui le peuple marocain peut s’exprimer librement, moi j’ai vécu les années 70 et 80 et je vois la différence, renchérit Mohamed, commerçant également. Pour moi le principal acquis de cette Constitution c’est la plus grande indépendance de la justice, donc je suis pour ; et puis on veut éviter la violence. Nous on a pas de pétrole comme en Libye, on a rien ; on ne peut pas se permettre une crise comme en Libye ou en Syrie ».
De l’autre côté de la rue, deux mères de familles voilées un sac de course dans chaque main, s’exclament en cœur : « bien sûr qu’on va voter oui ! ». Pour l’une c’est parce que l’égalité entre l’homme et la femme est désormais inscrit dans la Constitution pour l’autre c’est parce que le roi l’a demandé.
Principal enjeu : le taux de participation
A l’image de ces réactions, le « oui » à la nouvelle Constitution proposée par Mohamed VI fait peu de doute. Trente des 34 partis politiques au Maroc ont appelé à approuver le texte et le très populaire monarque a annoncé qu’il voterait oui. Pour la majorité des Marocains c’est une incitation à faire de même. Le principal enjeu et la véritable inconnue, c’est donc le taux de participation. Les Marocains se sont de plus en plus désintéressés des scrutins ces dernières années. En 2007, le taux de participation a dégringolé à 37%. Pour les partis politiques qui se sont engagés pour le oui, la participation représente un baromètre de leur popularité. Pour le roi Mohamed VI, ce taux permettra d’évaluer la pertinence de sa réponse aux mouvements de contestation qui agitent le pays depuis quatre mois. Avec un taux de plus de 60%, l’Etat pourra légitimement dire que la réforme telle que proposée par le roi –à savoir un renforcement du pouvoir du Premier ministre et de l’Assemblée sans réduire les prérogatives du monarque- était ce que les Marocains attendaient. Et qu’il n’y a donc plus de raison de manifester.
« Un taux de participation fort renforce la légitimité de cette réforme », confirme le politologue Mohamed Tozy pour qui ce taux doit idéalement se situer entre 60 et 80%. Ces derniers jours, la campagne a clairement révélé cette obsession de la participation. Pour encourager les 13 millions de Marocains en âge de voter à participer à ce référendum, le ministère de l’Intérieur a donc multiplié les appels à se rendre aux urnes à la télévision, à la radio et par SMS. Sur les façades des restaurants, des cafés ou les vitrines des commerces de Casablanca des drapeaux et des affiches appelant à voter oui se sont mises à fleurir. La plupart, distribués par des fonctionnaires de la municipalité qui dépendent du ministère de l’Intérieur.
Déception et incertitude
En face, les contestataires « déçus » par cette Constitution qui laisse trop de pouvoirs au roi, selon eux, ont appelé au boycott. En première ligne, le mouvement du 20 février, organisateur des manifestations des derniers mois et qui revendique 60 000 membres. Pour eux, un taux de participation faible peut être interprété comme un soutien à leur mouvement.
Mais outre le taux de participation, l’autre inconnu c’est de savoir ce qu’il va se passer après le référendum. Dans la banlieue de Sidi Moumen, quand on avance un peu plus dans le petit marché, entre les étals posés sur un terrain vague et recouverts de bâches poussiéreuses, d’autres s’interrogent également. « Moi je voudrais que ce texte donne du travail à nos jeunes pour qu’ils vivent dans la dignité », analyse timidement une jeune mère tout en achetant des oranges.
A côté, Mustapha, le vendeur de melons commente : « La Constitution elle est très prometteuse, mais le problème c’est qu’il n’y a personne pour la faire appliquer… tant qu’on a les mêmes hommes politiques rien ne changera. Il faut que les jeunes soient impliqués dans la politique car eux ils connaissent nos problèmes ». Non loin de là, Abderahmane, 28 ans, père d’un enfant et vendeur de sac plastique faute de mieux lui lance : « moi je ne vais voter ni oui ni non, car de toute façon tout ça est couru d’avance, ça ne sert à rien. »