Lampedusa, face à l’Afrique et à l’Europe

Face à l’afflux de migrants en provenance de Tunisie, l’Italie appelle l’Europe à l’aide et lui reproche un manque de solidarité. La Commission européenne répond que l’Italie a déjà reçu des sommes importantes pour l’aider à affronter le problème et que Bruxelles ne peut pas « forcer les Etats à prendre » les immigrés. Et pendant ce temps, ceux-ci s’entassent sur la petite île de Lampedusa.

Face à l’afflux de migrants en provenance de Tunisie, l’Italie appelle l’Europe à l’aide et lui reproche un manque de solidarité. La Commission européenne répond que l’Italie a déjà reçu des sommes importantes pour l’aider à affronter le problème et que Bruxelles ne peut pas « forcer les Etats à prendre » les immigrés. Et pendant ce temps, ceux-ci s’entassent sur la petite île de Lampedusa.

Vingt kilomètres carrés de tension. Pour Laura Boldrini, porte-parole du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés en Italie, la cohabitation entre les 6 000 immigrés et les 5 000 habitants de Lampedusa est devenue « insupportable ». Silvio Berlusconi s’est déplacé en personne le mercredi 30 mars pour calmer les esprits en promettant monts et merveilles à la population exaspérée de l’île et en annonçant que les immigrés seraient transférés ailleurs sous « 48 à 60 heures ».

Le Premier ministre italien adore s’attribuer le rôle de sauveur dans les situations difficiles. C’était déjà le cas lors de la crise des ordures à Naples, ou à Aquila, ville victime d’un séisme meurtrier en 2009. Mais, cette fois, la situation est autrement plus compliquée. Silvio Berlusconi a beau être qualifié par certains de « divin », il n’en devient pas subitement tout-puissant.

Crises en série

Le Cavaliere annonce, en chœur avec ses ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères, que la Tunisie s’est laissé enfin convaincre de fermer ses frontières maritimes et de ne plus laisser aucun clandestin emprunter cette voie pour partir. Pas de chance. En effet, il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir leurs déclarations démenties par les faits. Le jour même de la visite du chef du gouvernement à Lampedusa, une centaine de nouveaux migrants y ont débarqué dans la matinée, suivis de cinq autres embarcations.

Silvio Berlusconi annonce le départ immédiat des 1 400 premiers immigrés de Lampedusa vers un camp d’accueil dans une région déshéritée du Sud, les Pouilles. Hélas, il provoque tout de suite une mini-crise au sein de son propre parti et de son propre gouvernement. Le secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Alfredo Mantovano, originaire des Pouilles, annonce sa démission en signe de protestation. Il est immédiatement rejoint par Paolo Tomassino, maire de la localité directement concernée, Manduria. Tomassino est également membre du PDL, le parti de Silvio Berlusconi.

Et comme des pressions se multiplient, y compris de la part du président de la République Giorgio Napolitano, pour que les autres régions italiennes se montrent solidaires pour accueillir les migrants, une nouvelle crise menace du côté de l’allié gouvernemental du Premier ministre, la Ligue du Nord, parti au programme résolument xénophobe. Pour ses membres, il est inimaginable que la vague de nouveaux venus maghrébins et africains déferle sur les régions du nord de l’Italie, nettement plus riches et beaucoup plus industrialisées que celles du Sud.

Les millions européens

Et si le débat et ses conséquences se limitaient uniquement au territoire italien ! Mais il n’en n’est rien. Les autorités italiennes exigent une solidarité non seulement intra-italienne, mais aussi européenne. Le chef de la diplomatie, Franco Frattini, s’est montré particulièrement critique par rapport à la France, qu’il a accusée d’« absence de solidarité » face à l’afflux de centaines des Tunisiens via l’île de Lampedusa.

Dès qu’ils essaient de passer du territoire italien en France, ils sont systématiquement renvoyés en Italie. Interrogé par RFI, le secrétaire français aux Affaires européennes Laurent Wauquiez a réagi en mettant en avant, dans ce contexte, plutôt le rôle de l’Europe que celui de la France. « On a proposé et mis à disposition du matériel. Je me souviens d’ailleurs – a-t-il expliqué – qu’il n’y a pas si longtemps l’Italie disait qu’elle n’avait besoin de personne… Maintenant, on peut étudier évidemment toutes les positions pour pouvoir travailler ensemble. Je crois que ce sont des sujets sur lesquels nous devons pouvoir travailler sereinement, et surtout dans un esprit européen. (…) Nos frontières sont européennes, elles doivent être défendues de façon européenne ».

Oui, seulement voilà, on rappelle à Bruxelles que l’Union européenne a déjà fait vraiment beaucoup pour aider l’Italie à affronter le problème de l’immigration massive sur son territoire. A ce titre, 171 millions d’euros lui ont été versés depuis 2009, dont 70 millions du fonds pour les frontières, 20 millions du fonds pour le retour, 19 millions du fonds pour les réfugiés et 62 millions au titre de l’intégration des immigrés. Le pays devrait donc, en principe, être capable de gérer le problème tout seul. Par ailleurs, la Commission ne peut obliger aucun Etat membre à accueillir les immigrés qui arrivent sur le territoire d’un autre Etat membre de l’UE.

Des milliers de Maghrébins et d'Africains

Selon le ministre italien de l’Intérieur, « plus de 22 000 immigrés » sont arrivés en Italie depuis le début de l’année.

Selon la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström, « depuis un mois, 220 000 personnes sont arrivées en Tunisie » en provenance de Libye. Dix fois plus, alors qu’il serait surprenant d’apprendre que la Tunisie dispose de dix fois plus de moyens que l’Italie pour maîtriser le phénomène.

Bref, un nouveau grand mouvement migratoire vient d’être enclenché suite aux révolutions dans le monde arabe et il faudra être très ouvert et très inventif pour pouvoir s’y adapter. Il est fort à parier que des lamentations et des simples appels à l’aide ne suffiront pas.

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