Avec notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti
Le président Hosni Moubarak tente de reprendre la main, il a procédé ce lundi 31 janvier 2011 à un remaniement ministériel marqué surtout par le départ du très décrié ministre de l'Intérieur, Habib el-Adli remplacé par le général Mahmoud Wagdi. Le gouvernement ne comprend plus aucune personnalité issue du milieu des affaires, considéré comme proche de Gamal Moubarak, le fils du président.
Mais ces nominations ne changent rien. Au septième jour du soulèvement populaire, le mouvement mobilise toujours aussi fortement. Une marche gigantesque est projetée pour mardi au Caire et à Alexandrie. L’opposition prévoit la participation d’au moins un million de personnes dans chacune de ces deux villes, alors que les trains ne circulent plus. L'armée a fait savoir qu'elle n'utilisera pas la force contre les manifestants. Elle considère les demandes du peuple égyptien comme « légitimes ».
Ce nouveau gouvernement est déjà vieux car il y a quinze ministres qui viennent du précédent cabinet dont par exemple le ministre de la Défense, le général Mohamed Hussein Tantaoui, qui lui est vieux dans le vrai sens du terme puisqu’il a dépassé l’âge de la retraite depuis longtemps.
Mais il y a aussi Anas el-Féki qui est surnommé « le ministre de la désinformation », celui qui contrôle la télévision étatique. Certains le comparent même à Saïd al-Sahhaf qui était le ministre de l’Information de Saddam Hussein à l’époque de l’invasion américaine. Mais la seule chose qui quelque part ne déplaît pas trop, c’est qu’il n’y a plus d’hommes d’affaires au sein du gouvernement parce que l’opposition dénonçait le mariage entre l’argent et le pouvoir.
Les manifestants réclamaient le départ de Habib el-Adli. Hosni Moubarak l’a remplacé, mais ce geste n’est pas perçu comme un signe d’ouverture puisque c’est un général à la retraite, spécialisé en prison qui lui succède. Mahmoud Wagdi était le directeur des prisons d’Egypte avant de partir à la retraite. Donc pour réformer la police, qui en a besoin après tout ce qui s’est passé, ce n’est pas évident. Et par ailleurs, le fait de s’être débarrassé de Habib el-Adli ne suffit pas non seulement aux yeux des manifestants sur lesquels la police a tiré, mais même pour la majorité des Egyptiens qui ont été terrorisés par les pillards, Habib el-Adli à leurs yeux devrait être arrêté, jugé, et certains même vont jusqu’à dire fusillé.
L’opposition divisée
Hosni Moubarak avait demandé au nouveau Premier ministre d’engager le dialogue avec l’opposition. Mais cette opposition se divise et de plus, le gouvernement ne propose pratiquement rien sinon de la rhétorique, par exemple des directives pour une réforme politique, pour combattre le chômage et la corruption. Par contre, certains membres de l’opposition commencent à dire qu’il faut dialoguer avec l’armée et, d’ailleurs, ils font de grands hommages à l’armée. Mais le problème, c’est qu’il reste à trouver le général qui jouera le jeu démocratique et pas le coup d’Etat.
D’autre part, des problèmes commencent à ressurgir au sein de l’opposition et des divergences se manifestent. Par exemple, les Frères musulmans ont déclaré qu’ils n’avaient pas tout à fait mandaté Mohamed el-Baradei pour négocier en leur nom, alors que dimanche il semblait qu’ils l’avaient fait.
La grande marche
Pour la première fois depuis le début du soulèvement, il y avait ce lundi un appel à la grève générale. Il est difficile à mesurer le succès de cette journée de grève, mais en tout cas l’appel n’était pas judicieux parce que l’Egypte est pratiquement paralysée par le couvre-feu qui ne permet pas de sortir très longtemps. Donc on a juste le temps d’aller au travail, de boire un thé, d’acheter quelques emplettes et de rentrer chez soi. Le problème, c’est que déjà, on ne travaille pas et que des pénuries commencent. Donc on n’a pas vraiment besoin de grève.
Par contre, ce qui est intéressant, c’est la manifestation qui est prévue pour mardi. Les organisateurs veulent rassembler un million de personnes, puis marcher sur la présidence. Un million de personnes, c’est peut-être un peu utopique, même beaucoup, mais en tous les cas, il est sûr que la mobilisation gagne en puissance puisque ce lundi le record a été battu et le nombre de personnes rassemblées sur la place Tahrir a dépassé les 30 000.
Seul hic, aux yeux de beaucoup d’Egyptiens, c’est que ces manifestants tiennent beaucoup de slogans islamistes et prient un peu trop, par exemple aux yeux des chrétiens.
L'armée n'utilisera pas la force contre les manifestants
Le communiqué a été lu par le porte-parole officiel de l’armée sur les écrans de la télévision étatique peu après la prestation de serment du nouveau cabinet et sa réunion sous la direction du président Moubarak et en présence du vice-président Omar Souleimane.
Le communiqué de l’armée dit qu’elle est consciente et informée de la légitimité des demandes des honnêtes citoyens. Il y a une énorme nuance entre « l’armée est consciente » et « l’armée soutien ». Pour l’armée égyptienne extrêmement légaliste, le président Moubarak reste le commandant en chef même si on n’est pas d’accord avec lui. Une mise en garde, donc.
Cela a visiblement déplu aux alliés du raïs puisque le communiqué n’est pas passé au début du journal de 21 heures. Le communiqué affirme ensuite que l’armée n’a pas utilisé et n’utilisera pas la force contre ce grand peuple. En d’autres termes, feu vert aux marches géantes prévues par les protestataires, mardi, au Caire et à Alexandrie.
Un communiqué qui ne peut que plaire à Washington qui vient d’indiquer que la Maison Blanche est satisfaite de la retenue dont l’armée égyptienne a fait preuve. Washington d’où Robert Gates, le secrétaire à la Défense, et le chef d’état-major américain ont appelé, dimanche, leurs homologues égyptiens.
La pression internationale s’accentue sur Hosni Moubarak
L'Union européenne demande au président égyptien, d'entamer sans délai, le dialogue avec l'opposition. Les ministres européens des Affaires étrangères, réunis à Bruxelles ce lundi, ont appelé à des « réformes démocratiques substantielles conduisant à la tenue d'élections libres et justes ». Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu agite désormais le spectre d'un régime à l'iranienne si un mouvement islamiste organisé prend le contrôle de l'Etat à la faveur du chaos.
Et en même temps, les pays étrangers continuent d'évacuer leurs ressortissants et plusieurs entreprises étrangères ont annoncé la suspension de leurs activités en Egypte.