RFI : Peut-on dire qu’aujourd’hui le Niger, dans son ensemble, est devenu une zone à éviter, pour les ressortissants Français ?
Louis Caprioli : Je crois que tous les pays du Sahel, que ce soit le Mali ou le Niger, sont des pays dangereux. Le Niger, actuellement, encore plus puisque la capitale a été frappée avec l’enlèvement de ces deux Français. Ce qui montre la vulnérabilité ou la faiblesse du dispositif nigérien pour empêcher que les actions soient menées en plein centre de leur capitale.
RFI : Comment expliquez-vous justement, l’audace de ces ravisseurs, qui jusqu’à présent sévissaient plutôt dans le nord du pays, cette audace qui consiste aujourd’hui à aller jusqu’au cœur de la capitale ?
LC : Ils veulent démontrer à leurs sympathisants et puis aux gens de la zone, qu’ils ont des capacités à frapper partout, et puis aussi, c’est parce qu’ils disposent de réseaux de soutien logistique, de réseaux qui leur communiquent des informations, de réseaux qui leur permettent de se déplacer dans la zone sans attirer l’attention. Et donc, il y a une réelle implantation, aussi bien – j’allais dire – au Mali, au Niger, mais ce que l’on peut craindre à moyen terme, c’est [que cette implantation se fasse également] au Burkina Faso, au Nigeria et dans d’autres pays de la région. Et voilà la crainte que l’on peut avoir aussi : c’est qu’il y ait une contamination par cette organisation, en raison – j’allais dire – d’abord du discours qu’elle véhicule, et d’autre part des moyens financiers dont elle dispose.
RFI : Manifestement, les autorités nigériennes disposent quand même de capacité de réaction, puisqu’au final ces ravisseurs ont été interceptés, même s'ils étaient déjà à plus de deux cents kilomètres.
LC : Oui, c’était la moindre des choses que, au cœur de la capitale, il y ait un dispositif de la garde nationale, de la police, voire de l’armée, qui puisse intervenir puisque l’alerte a été donnée immédiatement, contrairement à d’autres opérations qui sont menées dans des régions désertiques. Ici, les services de sécurité nigériens ont immédiatement été informés et ont pu intervenir. C'est-à-dire demander une assistance à l’armée française qui dispose d’avions de surveillance, demander une assistance peut-être, autre, aux forces spéciales, pour pouvoir suivre le déplacement de ces terroristes. Et puis aussi, pour intervenir, lorsqu’elles jugeaient opportun, avant que les terroristes ne passent la frontière et se dirigent sur le Mali.
RFI : Sait-on si des soldats français, présents dans la zone, ont participé à l’opération d’interception ?
LC : Je ne sais pas s’ils ont participé, mais ce qu’il y a de certain c’est que la France a mis des moyens pour suivre les preneurs d’otages. Maintenant, elle a pu mettre des conseillers à la disposition des forces nigériennes, mais il est certain qu’il y a eu un travail en concertation entre l’armée nigérienne, qui était quand même leader dans cette opération, et les forces françaises.
RFI : Les forces françaises disposent à la fois de forces spéciales, c'est-à-dire de commandos, et de moyens héliportés et aéroportés.
LC : Depuis l’enlèvement d’Arlit, depuis l’opération qui a été menée le 22 juillet par l’armée française et l’armée mauritanienne, on sait qu’il y a un dispositif dans l’ensemble de la zone – que ce soit en Mauritanie, que ce soit au Burkina Faso, que ce soit au Niger – des gens des forces spéciales, et puis de l’armée de l’air ou de la marine, pour avoir une couverture aérienne sur l’ensemble de la région, et tenter de détecter et de suivre les activités des terroristes qui se déplacent sur cette zone qui est immense.
RFI : Pouvait-on éviter la mort des deux otages, dans ces conditions, dès l’instant où on envoyait des soldats pour tenter d’intercepter le convoi ?
LC : C’est un risque qui a été calculé. C'est-à-dire, il a été décidé d’intercepter, dès lors qu’on prend cette décision, on peut avoir des dommages d’abord collatéraux, parce que des tirs amis peuvent tuer les otages, et d’autre part il peu y avoir aussi la décision des terroristes d’exécuter les otages parce que leur objectif était de les enlever, de les monnayer, de faire chanter la France. Et donc, se voyant pris, ils pouvaient avoir décidé de les exécuter. Dès lors qu’on a engagé cette opération, je pense qu’on avait aussi mesuré les conséquences et les risques que cela allait entraîner pour les deux otages.
RFI : Pensez-vous qu’il y avait une volonté, de la part des autorités françaises et nigériennes, de dire : les tentatives d’enlèvement, cela suffit ! Cette fois-ci nous réagissons avec force et vigueur ?
LC : Mais je pense que les autorités nigériennes ne pouvaient pas laisser passer cette opération. Elles ont été – j’allais dire – humiliées, puisqu’au cœur de la capitale, au cœur de Niamey, dans l’endroit le plus célèbre, le plus sélect de Niamey, des étrangers ont été enlevés, des Français… Comme elles l’avaient été, quelques mois plus tôt, à Arlit, et donc il était impératif, pour les autorités nigériennes, de prendre la décision de frapper et de mettre fin à cette opération. Et donc il était tout à fait logique que l’armée intervienne. Sinon, on aurait l'accusée de laxisme, d’incompétence. Il fallait qu’elle mène une opération. Et malheureusement, une opération dans ces conditions, est risquée et peut avoir les conséquences que l’on connaît maintenant.
RFI : Louis Caprioli, vous travaillez pour une société Géos qui participe à la sécurisation de personnels étrangers au Niger. Si demain vous avez une prise d’otages, comment réagissez-vous concrètement ? Est-ce que vous avez des réseaux ? Est-ce que vous avez des moyens de réaction ? Comment cela se passe-t-il ?
LC : D’abord, tout ce qui est fait, c’est pour éviter qu’il y ait des prises d’otages. Ce qui veut dire que nous allons sensibiliser les personnels qui se déplacent à l’étranger. Il est évident que nous allons mettre à leur disposition des moyens armés pour les protéger. C'est-à-dire que nous allons avoir recours à la garde nationale, à la police, à l’armée… et que nous allons mettre des observateurs de la société Géos pour coordonner le tout. Nous n’allons pas nous substituer. Nous ne sommes pas armés, mais l’important – si vous voulez – pour nous, c’est de veiller à la sécurisation. Donc il y a tout un travail d’information en amont et un travail d’audit des différents sites où nous sommes implantés et ensuite un suivi permanent des personnels. Par quoi ? Eh bien par de la géo-localisation. Géo-localisation des véhicules, géo-localisation des personnels, et des communications permanentes avec un centre qui est basé, et bien qui sera basé à Niamey, voire dans d’autres régions, pour pouvoir établir une liaison permanente et constante, avec les personnels qui sont sur le terrain.