La tôle craque sous les pas des policiers qui patrouillent. Des amas de béton, de ferraille et quelques carcasses de motos calcinées jonchent le sol. « Voilà tout ce qu’il reste de Markas, le quartier général de la secte Boko Haram », indique un agent des services de renseignement. « La mosquée était là. Un peu plus loin, c’était la maison. Ils avaient commencé la construction fin 2008, mais vous voyez, tout a été détruit lors de l’opération conjointe militaire-police ».
C'est à la sortie nord de la ville de Maiduguri, aux abords de l’ancienne voie ferrée que la secte Boko Haram (« l’éducation occidentale est un péché » en langue Haoussa) avait établi son fief. « Il y avait des milliers de fidèles. On les voyait souvent passer ici », raconte Usman Bukan, un habitant du quartier voisin. « Ils paraissaient inoffensifs, nous saluaient souvent et disaient qu’ils combattaient uniquement le gouvernement de l’Etat de Borno, qu’ils voulaient prendre le pouvoir pour que l’application de la charia soit totale et que les civils n’avaient rien à craindre. Mais après quelques temps, nous avons aussi été victimes. Ma maison a été complément vandalisée, j’ai tout perdu », dit-il en montrant ses photos de familles aux cadres craquelés.
Le mouvement renaît de ses cendres
Le 26 juillet 2009, les fondamentalistes qui se réclament des talibans afghans avaient tenté d’attaquer un poste de police dans l’Etat de Bauchi. Les affrontements avec les forces de l’ordre avaient alors embrasé les Etats voisins et notamment la ville de Maiduguri. Selon la Croix-Rouge nigériane, au moins 800 personnes avaient trouvé la mort. Des membres de la secte, mais aussi des civils. L’organisation Human Rights Watch avait dénoncé des exécutions sommaires et extrajudiciaires, dont celle du leader de la secte Mohamed Yusuf, sauvagement abattu par la police après un interrogatoire filmé et largement diffusé sur les téléphones portables nigérians.
Mais loin d’avoir été anéanti par les massacres, le mouvement renaît de ses cendres. En septembre dernier, de présumés membres de la secte ont attaqué la prison de Bauchi libérant 732 personnes dont 150 islamistes. Depuis, les attaques reprennent. En deux mois, les forces de l’ordre, ont répertorié plus d’une dizaine de meurtres. Des policiers en grande majorité mais aussi des politiciens et un imam qui aurait fait un prêche déplaisant. Des assassinats qui ont souvent lieu de nuit. A la sauvette. « Ils ont réalisé qu’ils étaient peu nombreux, alors ils se sont résolus à une sorte de guérilla en tirant depuis l’arrière de motos et malheureusement certains sont dangereusement armés », explique Mohammed Abubakar, le commissaire de police de l’Etat de Borno.
« Les fidèles sont désormais bien entraînés et non plus des jeunes fanatiques »
Résultat, la ville a été placée sous haute surveillance. Des barrages policiers et militaires ont été installés sur les principaux axes routiers. Un couvre-feu interdit aux « okadas », les moto-taxis, de circuler après 18 heures. Un déploiement sécuritaire qui agace parfois les populations sans jamais répondre aux nombreuses questions qui se posent ça et là. De fait, les fidèles sont invisibles et habiles. « Ceux qui opéraient en 2009, n'étaient pas aussi expérimentés », remarque le politologue Khalifa Dikwa, enseignant à l’université de Maiduguri, « c’était simplement de jeunes étudiants fanatiques prêts à mourir pour leur religion. La manière dont les meurtres sont opérés aujourd’hui laisse penser qu’ils sont désormais bien entraînés, et personne ne sait où ils sont entraînés, ni d'où ils viennent ».
« Nous avons peur, chaque jour, de plus en plus peur »
Dans une vidéo qui circule sous le manteau, un homme au visage masqué assis à côté d’une AK-47 affirme en haoussa, qu’Allah les a « autorisés à combattre ceux qui les tuent ou brûlent leurs maisons » et qu’ils « se vengeront ». Enseignant dans une école coranique, Usmane Dunoma s’emporte : « Nous avons peur, chaque jour, chaque mois, de plus en plus peur. Ils tuent n’importe qui et nous ne pouvons pas les reconnaître. Ils sont comme nous, ils n’ont pas de vêtements particulier, ils vont et viennent dans Maiduguri. Nous ne savons pas où ils sont, même les agents de sécurité ne savent pas où ils se trouvent ».
Début novembre, au moins un millier de ressortissants tchadiens, camerounais et nigériens « sans papiers » ont été renvoyé aux frontières du Nigeria pour « raisons de sécurité » par les services de l’immigration. Ce 9 novembre, 23 personnes suspectées d’appartenir à la secte ont été arrêtées, portant à 128 le nombre total de suspects emprisonnés.
A écouter : Grand reportage RFI du 11/11/2010