Mohammed Auwal a les yeux qui pétillent. Voilà quelques mois que cet ingénieur a «déménagé de Festac Town pour éviter les embouteillages», mais il a du mal à se détacher de cette zone résidentielle située le long de la voie rapide entre Lagos et Badagry…«C’est un endroit particulier. J’y ai vécu 11 ans», dit-il en arpentant une ruelle du quartier de 2nd Avenue. «Regardez les constructions, elles sont uniques. C’est un peu comme en Europe, les immeubles sont alignés, il y a des espaces verts, des terrains de football pour les enfants, un complexe de magasins, une église et une mosquée. Pas de petites boutiques improvisées sur les trottoirs. C’était tellement moderne», lâche-t-il, tout en retroussant son grand boubou blanc.
Fer de lance d’un Lagos en pleine urbanisation, Festac Town a vu le jour en 1977 pour les besoins du deuxième Festival Mondial des Arts Nègres. Les autorités fédérales, alors sous la coupe du général Olusegun Obasanjo, avaient investi plusieurs millions de nairas pour construire quelques 5 000 habitations réparties sur 7 artères principales, permettant d'accueillir les 45 000 participants et visiteurs de l'événement. Une architecture censée préfigurer le développement de la ville de demain promise par le boom pétrolier de l’époque.
Une fois le festival terminé, le gouvernement nigérian décida d’allouer les maisons à la population via une loterie. «Il s’agissait de pourvoir aux besoins des très pauvres comme des riches», raconte Mohammed Auwal. «Grâce à des prêts immobiliers, calculés en fonction des revenus de chacun, les familles locataires sont progressivement devenues propriétaires de leur appartement ou de leur maisons». La cité disposait alors de toutes les commodités : transports public, banques, centres de santé, bureaux de poste et, atout non négligeable, sa propre fourniture électrique.
C’est là, dans cet environnement mixte où se côtoient toutes les ethnies (Haoussa, Igbos, Yoruba...) sans distinctions de classes sociales, qu’Adeola Aderounmu a grandi. «Quand on s’est installé ici, j’avais cinq ans et c’était un peu comme arriver au paradis. Une enfance heureuse, insouciante. Une vie de village», confie ce trentenaire. Bien loin du Festac Town d’aujourd’hui…«Soyons honnête, cela ressemble plus à une jungle qu’a une zone résidentielle».
Déclin
À l’image du reste de Lagos, le quartier ne porte plus très beau. Les panneaux à l'entrée du mur d’enceinte ont disparu. Les routes sont défoncées. Et l‘humidité a ravagé les façades des immeubles. Faute d’eau courante disponible à certains étages, ou couleur «thé Lipton», des citernes, des bornes fontaines ou de simples puits à ciel ouvert sont venus supplanter le réseau d’approvisionnement classique. Quant à l’électricité, elle fait aussi défaut. Comme ailleurs dans le pays, chacun compte les heures où il y en a. Résultat : le ronron des groupes électrogènes rythme le quotidien.
Une négligence des pouvoirs publics ? Chacun le concède à demi-mot. Mais le statut de Festac Town est complexe. Sur le papier, le gouvernement fédéral, celui de l’État de Lagos et le gouvernement local sont censés assurer l’entretien. Dans les faits, chacun se renvoie la responsabilité. «Les autorités ne peuvent pas tout» relativise Salihu Alhaji Akintola, le secrétaire général de la communauté musulmane. «C’est aussi à nous d’entretenir notre bien, malheureusement les gens n’ont pas cette culture et la cité se dégrade progressivement».
Au même rythme qu’elle se peuplait, les grands espaces verts, les terrains de football et la forêt qui entourait la cité ont peu à peu été vendus. Des particuliers y ont construit leurs maisons dès la fin des années 80. La population a augmenté, le banditisme aussi dans certains quartiers. Avec un taux de chômage important, Festac Town est, dit-on, devenue le repère des hackers, les «yahoo-yahoo boys», comme les appellent les Nigérians, sont pourtant introuvables. Pas trace ici de café-Internet. Où sont ces fraudeurs modernes de l’Internet qui placent tristement le Nigeria dans le haut du classement mondial des 4.1.9*. Chez eux ? Visiblement, personne ne souhaite répondre à ces questions.
Il n'empêche, la cité fait encore la fierté de certains habitants. Enseignant, Adeyemo Mashood vit avec ses deux frères dans un petit appartement deux pièces modeste avec WC et cuisine séparée, dans le quartier de 4th Avenue. Un logement hérité de son père. Il y a certes quelques fissures au plafond et bien peu de lumière, mais qu’importe. Habiter ailleurs ? «Non je n’y pense pas. Ici on a la tranquillité. Tout le monde cohabite en bonne intelligence. Si des problèmes ethniques ou religieux éclatent dans certains endroits de Lagos, vous pouvez être sûr qu’ils ne nous atteindront pas».
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* Le 4.1.9 est le code référent aux crimes dans la Constitution nigériane. L'expression est utilisée couramment au Nigeria pour désigner les escroqueries.