De notre envoyée spéciale dans le sud du Niger
Le soleil est à son zénith. La température proche de 40 degrés. Mais il a plu voilà quatre jours, alors Mamadou Seydou gratte le sol sablonneux de son lopin de terre, à l’entrée du village de Dampana (80 kilomètres au Nord de Zinder). Le mil qu’il a planté à commencé à pousser. Un espoir pour les mois à venir si les conditions climatiques se montrent favorables. En attendant, le grenier familial est déjà vide, en raison de la faible pluviométrie de l’année passée. Autant dire qu’avec douze enfants à la maison, la situation reste précaire. Mamadou le concède : « On a du mal à se nourrir, on fait deux repas par jour, uniquement avec du mil ». Un cas isolé ? Pas vraiment.
Sécheresse, invasions acridiennes ou d’oiseaux granivores... Le Niger connaît une malnutrition chronique. En 1974, puis en 1984 et en 2005, le pays avait déjà été affecté par de graves crises alimentaires. Pour autant, de nombreux observateurs s’accordent à dire que la situation actuelle est catastrophique. Pour 2010, l’insécurité alimentaire est qualifiée de « critique à extrême ». Selon une enquête diligentée par le gouvernement, près de la moitié de la population souffre actuellement de malnutrition, soit quelque sept millions de personnes sur les quinze que compte le Niger, parmi lesquelles 2,6 millions déjà au plus mal avec moins de dix jours de réserve. Alors que la période de soudure annuelle devrait durer six mois au lieu des trois habituels.
Premières victimes de cette situation : les enfants
A l'hôpital de Madarounfa, situé à une trentaine de kilomètres de Maradi, le Centre de Récupération Nutritionnel Intensif (CRENI) affiche complet. Aux urgences, la trentaine de lits est occupée par de jeunes mères et leur bouts de choux chétifs placés sous sonde. Déjà supérieure aux seuils d’alerte de l’OMS (10%) en 2009, la malnutrition aiguë a franchi le seuil d’urgence en juin avec près de 17% d’enfants touchés. « On a de plus en plus d’admissions, confirme Assoumana Missou, le médecin chef du centre, membre de l’ong Forsani. Sur les six premiers mois, on a reçu deux fois plus d’enfants que l’année dernière à la même période. Les gens viennent ici en dernier recours, certains enfants ne se nourrissent plus depuis trois semaines. On arrive à en sauver la plupart, mais il y a tous ceux qu’on ne voit pas et qui perdent leur vie sans qu’on le sache.»
La communauté internationale tire la sonnette d’alarme. Quant aux autorités, elles ont pris les devants. Loin de nier la réalité des difficultés, comme ce fut le cas en 2005 sous la présidence de Mamadou Tandja, la junte militaire parle de « crise ». Depuis deux mois, des distributions gratuites de vivres ont été organisées et des ventes dites à prix modérés ont eu lieu dans les localités les plus reculées. Par la voix de son porte-parole, Mahaman Lawali Dan Dah, Niamey a également indiqué que le pays célébrerait le cinquantenaire de l’indépendance le 3 août prochain sans activités festives pour donner priorité au combat contre la faim.
Reste que si la ressource n’a pas totalement disparu des étals des marchés, elle reste inaccessible pour la grande majorité de la population qui s'appauvrit à mesure que les crises se succèdent. Et ce n’est pas Sani Tambari qui dira le contraire. Comme des milliers d’autres, ce pasteur nomade s’est rendu aux abords de la réserve de Gadabedji située à 200 kilomètres au nord de Maradi et connue pour être le grenier fourrager du pays. Mais ici aussi l’herbe et rase et les points d’eau quasi-inexistants. « Plus des deux tiers de mon troupeau sont morts, lâche-t-il. J’observe, impuissant. Rien qu’hier, il y a encore une vache qui est partie. »
Sur les collines des abords de la réserve, les carcasses de bêtes se comptent par centaines. Ca et là, des ossements de chèvres, de moutons, d’ânes et parfois même des crânes de chameaux, pourtant considérés comme les animaux les plus résistants. « C’est un cercle vicieux », se désole Assadeck Alkabouss de l’Association pour la Redynamisation de l’Elevage au Niger (Aren). « Pour avoir de quoi se nourrir, les gens sont contraints de brader les bêtes fatiguées qu’il leur reste. Mais une vache qui se négocie en temps normal autour de 200 000 francs CFA, se vend au mieux 15 000 francs CFA, explique-t-il. Comment voulez-vous que les gens vivent, se nourrissent, se déplacent et se soignent ? »