Le prix Goncourt Pierre Lemaitre: «J’ai une relation compliquée avec la télévision»

« J’aurais adoré d’avoir fait Au revoir là-haut en objet multimédia. » C’est l’une des confidences que le prix Goncourt 2013 Pierre Lemaitre a faites auprès de RFI lors d’une rencontre au Festival international de programmes audiovisuels (Fipa) qui se déroule actuellement à Biarritz, dans le sud-ouest de la France. Le romancier qui connaît bien la télévision, pense son écriture plus en scènes qu’en chapitres et il va adapter son roman sur la Guerre de 14 aussi sous forme de bande dessinée. Entretien.

Comme vous êtes au Festival de la télévision, avez-vous déjà reçu une proposition pour une adaptation de votre roman Au revoir là-haut pour la télé ?

Oui, mais pas des propositions à proprement parler. Ce n’est pas tout à fait comme cela que ça se passe. Il y a des discussions, des conversations. C’est un lieu où l’on rencontre des producteurs. On échange. Pour une vraie proposition, il faut avoir beaucoup réfléchi, il faut l’avoir préparée. Mais il y a beaucoup de contacts intéressants.

Au revoir là-haut parle autrement de la Guerre de 14. C’est un roman qui évoque très peu l’ennemi extérieur, mais beaucoup l’ennemi intérieur, la défaillance des hommes, les blessures intimes. Avec le prix Goncourt, les lectures et conférences qui s’enchainent pour vous, est-ce que vous avez l’impression que votre roman est en train de changer la perception de la Première Guerre mondiale en France ?

Je n’aurais pas l’outrecuidance de penser qu’un roman puisse changer quelque chose profondément – et surtout pas les miens. En revanche, du plus modeste qu’on puisse être, chacun apporte sa pierre à un édifice commun qui s’appelle la culture de son pays ou la culture tout court. Donc moi, j’ai érigé mon propre monument aux morts. Bon, ce n’est pas grandiose, mais c’est ma manière à moi de commémorer la guerre. Si la vision que certains peuvent avoir de cette guerre à travers de l’après guerre peut en être un peu modifiée, bien, d’une certaine manière, j’aurais été utile.

Vous êtes devenu célèbre avec le prix Goncourt, vous étiez déjà très connu à travers vos polars dont certains ont été ou vont être adaptés au cinéma comme bientôt Alex par le réalisateur américain James B. Harris. Vous avez aussi travaillé pour la télévision, pour TF1 et France 2, pour des films comme Otages ou Marché de dupes. Quelle est votre relation avec la télévision ?

C’est une relation compliquée. Je n’ai pas été toujours très heureux dans mes relations avec la télévision. D’abord, la télévision a peu de moyens. Et cela se ressent beaucoup dans l’écriture. Il faut très souvent niveler budgétairement une histoire. Et quand on mêle le budget et la narration, cela fait rarement bon ménage. Dans les chaînes, il m’est arrivé de rencontrer des gens intéressants, mais d’une manière générale, j’ai l’impression de gens qui sont assez paranoïaques. Ils ont vraiment le nez sur le compteur, sur l’audimat, sur l’idée qu’ils se font de leur public. Elle est juste ou pas juste. Du coup, vos projets sont souvent un peu ballotés en fonction des conceptions qu’ils ont de leur public. Ce ne sont pas toujours des conditions de travail bien faciles.

Et pourtant vous dites que vous ne parlez pas de « chapitres » dans vos livres, mais de « scènes ». Et écrire, pour vous, c’est décrire. Etes-vous un scénographe de l’écriture ?

Non, je crois que je suis fondamentalement un romancier. C’est plutôt un trait cognitif, un trait psychologique. Ma manière à moi de m’imaginer ce que je peux écrire se fait d’une manière cinématographique. C’est plutôt ma forme d’intelligence, ma forme d’imaginaire qui est assez proche de celle du cinéma. Peut-être mon psychanalyste, dans quelques années, pourra vous dire d’où ça vient. Moi, je l’ignore. Mais scénographe de la littérature, cela serait des habits un peu grands pour moi.

500 000 exemplaires vendus, pour un roman, c’est extraordinaire. 500 000 spectateurs pour un film, c’est médiocre. Est-ce qu’on peut comparer les deux publics ?

On n’est pas du tout sur la même échelle. On n’est pas non plus sur le même public, le même « produit », le même vecteur de communication. C’est une des difficultés d’adapter un roman : on ne parle pas du tout des mêmes choses. Les raisons : les échelles sont différentes, les publics sont différents, les attentes de ces publics sont éminemment différentes. Ce sont deux choses qui sont extrêmement différentes. Or, quand vous adaptez un roman au cinéma ou à la télévision, vous attendez qu’il y ait au fond une grande ressemblance. Et vous êtes troublé quand cette ressemblance n’existe pas. C’est un des grands paradoxes des adaptations de vouloir être le même et très différent.

Vous allez adapter Au revoir là-haut pour la bande dessinée. Qu’est-ce qui vous a excité à l’idée de mettre des images sur vos mots ?

Il y a deux choses qui m’excitent : c’est d’abord de raconter autrement la même histoire, parce que je vais la scénariser. La bande dessinée, c’est de parler un autre langage. Donc je suis heureux de m’y essayer. Je suis sûr que je vais apprendre énormément de choses sur la manière de raconter une histoire. La deuxième chose est que je vais travailler avec un dessinateur. J’attends de lui qu’il me propose un univers. Je n’ai pas du tout envie qu’il me fasse un univers pour ressembler à l’idée que moi je me fais du livre. Je trouve que le travail sera intéressant si le dessinateur se sent libre de me proposer sa vision de mon livre et de l’écrire ensemble.

Vous avez déjà fait un feuilleton numérique, Les Grands moyens, pour iPhone et tablette numérique. Est-ce que vous pouvez vous imaginer de travailler dans le transmédia ? D’ajouter aux mots et aux images l’interactivité ?

Moi, j’aurais adoré que mon roman Au revoir là-haut soit l’occasion de faire cela. Par exemple, j’aurais adoré tout bêtement qu’on accompagne le livre d’un DVD sur lequel il y aurait la documentation laquelle j’ai utilisée, les films que j’ai vus, les livres que j’ai lus en pdf. J’aurais adoré d’avoir un objet multimédia. Je suis très heureux d’avoir des ventes sur le numérique. Moi, je suis moi-même un homme assez numérique. J’espère beaucoup qu'à l’avenir c’est quelque chose qu’on va creuser. Certes, le livre va continuer à rester le livre, c'est-à-dire l’art majeur de la narration, mais accompagné de tous qu’aujourd’hui peut permettre de le faire vivre – et notamment convaincre des gens qui lisent peu.

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FIPA, du 21-26 janvier 2014 à Biarritz.

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