Quel est le mot d’ordre du Fipa pour 2014 ?
Ce qui nous intéresse c’est l’excellence en matière de télévision. Le Fipa est un appareil photo qui donne un instantané de belles et bonnes choses, mais qui est aussi une tête chercheuse qui essaye de comprendre de quoi sera faite la télévision de demain et à quoi va ressembler la planète. C’est très ambitieux, mais quand vous regardez le panel des films que nous présentons, ce sont presque tous des films qui se terminent avec un point d’interrogation. Que sera l’Égypte demain ? Que sera l’Afrique demain ? Que sera Israël demain ? C’est donc un festival qui est à la fois un festival de constat et de prospection.
Un point fort sera la programmation autour de la Première Guerre mondiale. Comment raconte-t-on aujourd’hui cette guerre à la télévision ?
Autrefois, on l’a racontée en en montrant l’horreur. Plus les images étaient sordides, sanglantes, affolantes, plus on était content en disant que c’est ça la guerre ! Aujourd’hui, on a une autre vision de la guerre. On la regarde au niveau de l’homme. Quels dégâts provoque cela ? Ce ne sont pas les hommes qui s’écroulent qui sont intéressants, ce sont les blessures des êtres humains. Et cela est un phénomène mondial, quelle que soit la guerre, le conflit. Ce qui intéresse les « téléastes » d’aujourd’hui, mais aussi les cinéastes et les écrivains, c’est les blessures de l’homme. Très curieusement, les maisons écroulées, les chars calcinés, etc. c’est devenu de la préhistoire, ce n’est plus ça la guerre [à la télé, ndlr]. Le vrai visage de la guerre, ce sont des hommes qui ont du mal, une fois la paix revenue, à vivre avec leur mémoire, à vivre avec leurs souvenirs. C’est le drame des anciens combattants qui sont mal reconnus par leurs pays. Les Américains font beaucoup de films là-dessus.
Vous citez la série française Ceux de 14 comme exemple.
Ceux de 14 d’Olivier Schatzky est fondée sur un livre admirable de Maurice Genevoix qui a combattu en 1914 et qui est d’ailleurs un des héros du téléfilm. Cette série raconte la guerre à hauteur d’hommes. Les deux premiers épisodes de ce film, très curieusement, il doit y avoir en tout et pour tout deux morts, quatre coups de fusil et peut-être même pas un coup de canon, parce que ce n’est pas ce qui intéressait Genevoix. Ce qui intéressait l’auteur, c’était la peur. C’est effectivement plus important de montrer cela que de montrer des éventrations, des charges à la baïonnette, même s’il y en a aussi.
1914, Dernières Nouvelles est une immersion interactive proposée par Bérénice Meinsohn. Est-ce que l’interactivité apporte quelque chose de nouveau pour raconter cette guerre ?
J’espère que oui. Je vous dirai cela à la fin du FIPA. Moi, je crois terriblement à l’interactivité. Je pense que la télévision de demain, de demain « matin », pas de demain lointain, elle sera interactive ou elle ne sera pas. Les gens veulent s’emparer de l’outil. On peut faire de la télévision avec tout, même avec un téléphone. J’ai essayé les Google Glass, on peut faire du cinéma et de la télévision avec cela. Comme cela tout le monde apportera sa petite pierre à l’édifice.
Justement, l’Italien Amedeo Ricucci présentera Syria 2.0 : The Battle of Aleppo, réalisé avec un téléphone portable.
Ce qui est terrible, c’est qu’on ne voit presque plus la différence ! Et le téléphone permet de se glisser partout. Je me souviens, lorsque les gens commençaient à faire des films avec des caméras Super 8, on disait déjà que c’est formidable, quelle liberté ils ont ! Maintenant, cette liberté est totale. On peut faire du cinéma juste avec nos yeux.
C’est la deuxième édition de Smart Fip@. Qu’est-ce que nous attend sur la planète transmédia du FIPA ?
Vous allez voir le BarCamp [le 23 janvier à 14h30, ndlr], une conférence où tout le monde est participant. Il n’ya pas d’auditeur assis qui ne font rien. Vous êtes obligés d’intervenir et de participer, c’est complètement interactif. Et puis il va y avoir ces jeux extraordinaires que Paul Tyler [développeur des premiers programmes cross-média à la BBC, ndlr], fera avec des Playmobils, des Legos, etc. pour expliquer comment fonctionne le multimédia. Dans les années à venir, on ira encore beaucoup plus loin.
Qu’attendez-vous du Hackathon qui rassemblera 25 auteurs, web-designers, game-designers, réalisateurs en plusieurs équipes pour produire un quelque chose ensemble.
Moi, je suis quelqu’un de très lent comme créateur. Je suis une tortue. Et là, cela va être des Ferrari. Ils vont foncer à toute vitesse. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment fonctionnent les neurones, les cerveaux humains pour créer. Il faut passer du linéaire au 2.0. Ils vont créer des outils nouveaux qui sont supposés de fonctionner. C’est extrêmement intéressant de faire des équipes, leur donner un sujet et leur dire : faites-nous un projet transmédia avec cela. On ne sait pas comment cela va tourner.
Le jury pour le Fipa d’or est composé de scénaristes, de réalisateurs, d’acteurs, de producteurs, etc., mais aussi du metteur en scène Frédéric Fisbach, du pianiste et chef d’orchestre Bruno Fontaine et du cinéaste africain Mahamet Saleh Haroun. Le prix Goncourt 2013 Pierre Lemaître évoquera [le 23 janvier à 15h, ndlr] l’écriture pour l’écran. Est-ce qu’on assiste à une nouvelle relation entre le mot et l’image ?
J’avais eu un père qui était cinéaste et je suis devenu écrivain. Très tôt on a confronté nos deux vocabulaires : les mots et les images. On s’est aperçu qu’on pouvait raconter la même histoire avec les deux vocabulaires et les deux syntaxes et qu’on s’enrichissait mutuellement. Moi, j’ai vécu une époque où l’on disait : si tu veux être écrivain, surtout ne touche pas à la télévision, c’est la prostitution. Mais entre un mauvais livre et un très bon film, mon choix est vite fait. Il ne faut pas créer de hiérarchie entre les images et les mots. Il faut les marier.
L’Afrique est évoquée à travers plusieurs reportages : Congo Business Case du Néerlandais Hans Bouma, Egypt in Crises, une production américaine de Marcela Gaviria et Martin Smith, et il y a Rwanda, l’enquête manipulée du Belge Philippe Lorsignol, mais le seul Africain au Fipa sera Mahamat Saleh Haroun en tant que membre du jury. Pourquoi aucun film africain n’est présent cette année ?
On a déjà eu ce problème l’année dernière. Cela s’explique : ils en font peu. C’est ça le problème. J’aurais aimé d’en avoir, mais quantitativement, cette production est extrêmement faible et ils ont d’autres problèmes pour l’instant. Prenez l’exemple du Brésil. On a vu émerger depuis trois ou quatre ans une production télévisuelle brésilienne de très grande qualité, comparable aux productions occidentales. Laissons l’Afrique émerger.
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FIPA, du 21-26 janvier 2014 à Biarritz.