«Il y a un contexte très favorable pour un rapprochement franco-saoudien»

Le président français est en visite officielle pour vingt-quatre heures en Arabie saoudite. Une visite éclair mais très stratégique, puisqu’il est question de gros contrats de défense avec le roi Abdallah. François Hollande emmène dans sa délégation quatre ministres et une trentaine de chefs d’entreprise. Entretien avec David Rigoulet-Roze, enseignant et chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas). Il a publié en 2005 Géopolitique de l’Arabie saoudite, aux éditions Armand Colin.

RFI : C’est la deuxième visite officielle de François Hollande en Arabie saoudite. Qu’est-ce qu’il attend de cette visite ?

David Rigoulet-Roze : C’est une visite intéressante dans tous les sens du terme. Elle marque en quelque sorte un tournant saoudien de la part du président François Hollande, comme on avait pu parler d’un tournant qatarien pour l’ancien président Nicolas Sarkozy. C’est une visite effectivement qui est importante compte tenu des quatre ministres qui se déplacent, et non des moindres, sans parler évidemment de la pléthore de chefs d’entreprise. Une visite qui a été d’ailleurs préparée en amont le 16 et 17 décembre par un déplacement de Khaled al-Tuwaijri, qui est le directeur de cabinet - on le surnomme le « grand vizir » - du roi Abdallah. C’est dire l’importance effectivement accordée à ce déplacement qui est le deuxième de son quinquennat. Le premier avait eu lieu début novembre 2012. C’était une escale rapide et là c’est un déplacement beaucoup plus solennel.

Le royaume d’Arabie saoudite est devenu le premier client de la France au Moyen-Orient avec des échanges qui ont dépassé les 8 milliards d’euros en 2013. Pourquoi François Hollande en a fait un allié économique de choix ?

Il faut quand même rappeler que l’excédent budgétaire de la part du royaume se monte à une somme importante qui est de l’ordre de 55 milliards, donc ça peut susciter un certain nombre d’appétits en termes commerciaux de la part de pays exportateurs comme le nôtre. A fortiori, quand on est en difficulté financière, comme c’est le cas pour la France, on ne peut pas négliger la perspective de la signature de contrats juteux en l’occurrence grâce aux pétrodollars dont bénéficie le royaume saoudien.

Est-ce qu’il sera aussi question d’investissements saoudiens en France ?

Evidement, ça rentre en ligne de compte. On peut citer récemment le groupe Almunajem qui rentrerait dans le capital du groupe Doux en difficulté, au début 2014. Donc c’est une manière effectivement de montrer que l’Arabie saoudite se sent solidaire, partie prenante économique et que ce n’est pas uniquement un sens unilatéral.

Ces contrats sont aussi très politiques puisque la diplomatie entre les deux pays sera également évoquée. En quoi cela pèse-t-il sur ces relations commerciales ?

On peut difficilement dissocier les deux aspects, c’est-à-dire l’aspect diplomatico-politique et l’aspect diplomatico-économique dans la mesure où il y a effectivement un contexte général très favorable en ce moment pour un rapprochement franco-saoudien qui se fait sur fond de froid entre Washington et Riyad. C’est une manière pour Riyad de se repositionner, de diversifier ses alliés. C’est une manière aussi de « remercier » la France pour la position, la ligne qui a été adoptée sur la Syrie notamment, sur le Liban, qui est plutôt convergente avec celle de Riyad. C’est vrai que de ce point de vue-là, les contrats ont une dimension politique non négligeable.

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Qu’en est-il des divergences ou des convergences diplomatiques entre les deux pays sur certains dossiers notamment l’Egypte et la Syrie ?

Concernant l’Egypte, il y a une petite dissonance dans la mesure où il y a un soutien indéfectible au général al-Sissi de la part de Riyad qui a financé finalement le renversement du président Morsi, des Frères musulmans. Alors que la position de Paris se veut plus équilibrée en souhaitant la réintégration de toutes les parties prenantes politiques du système égyptien. Mais c’est une petite dissonance par rapport à une convergence de vue beaucoup plus générale sur la question syrienne, sur la question iranienne également, puisque Riyad avait apprécié la position de fermeté française concernant les négociations lors de l’accord qui a été validé à Genève.

Une convergence de vue sur la Syrie, même si l’Arabie saoudite se déclare toujours favorable à des livraisons d’armes notamment aux rebelles ?

Ce sont des choses qui sont mezzo voce, c’est-à-dire que en apparence la convergence paraît totale, mais c’est vrai que la question du financement et de l’armement de certaines factions notamment salafistes peut poser un problème puisque la position française avait été plutôt axée sur l’armement de l’ASL [Armée syrienne libre] qui n’existe quasiment plus. Et donc là, il y a une petite contradiction mais qui ne sera pas soulevée a priori pour nuire à la convergence de vue qui doit primer dans le cadre de la rencontre entre le roi Abdallah et François Hollande.

Et la question des droits de l’homme va-t-elle être également évoquée ?

C’est un autre problème puisque l’Arabie saoudite est un des pays qui est régulièrement montré du doigt, notamment pour les condamnations à mort. Il est vraisemblable que ça puisse être évoqué mais de manière sans doute discrète, compte tenu du caractère solennel de la visite du président François Hollande.

Finalement, Nicolas Sarkozy avait fait plutôt du Qatar son partenaire de choix. Pourquoi François Hollande fait de l’Arabie saoudite son partenaire de référence économique ?

C’est vrai que l’ancien président Nicolas Sarkozy avait opté pour le Qatar. Et d’ailleurs il avait été considéré par le roi Abdallah comme un « cheval fougueux qui doit connaître l’épreuve des rênes ». Là, si le choix se fait sur l’Arabie saoudite, le tournant saoudien c’est sans doute aussi parce que l’Arabie saoudite a repris la main sur les crises régionales, avec un effacement relatif du Qatar justement compte tenu de certains échecs qui ont pu être les siens dans la crise syrienne en particulier. Et donc l’Arabie saoudite est quand même le poids lourds des pétromonarchies et du Conseil de coopération du Golfe. Ce n’est pas forcément un hasard si le repositionnement se fait au profit de Riyad plutôt que de Doha.

Un intérêt économique, mais aussi stratégique, n’y a-t-il pas un mélange des genres ?

Il y a toujours un mélange des genres inévitable dans la région dans la mesure où la signature des gros contrats a une dimension politique. C’est-à-dire que dans le cadre des pays du Golfe effectivement, sans soutien politique, il est très difficile de conclure de gros contrats. C’est vrai que c’est une dynamique complexe et que l’on ne peut pas dissocier les deux aspects, même s’il n’y a pas surdétermination totale de l’un sur l’autre.

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