Alain Chouet sur RFI: «Le départ de jeunes Français combattant en Syrie est un acte plutôt spontané»

Plus de 130 Français combattraient actuellement en Syrie. C’est le chiffre avancé jeudi 19 septembre par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, selon qui une cinquantaine sont revenus, une quarantaine sont en zone de transit et une bonne centaine ont les capacités de s’y rendre. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ? Entretien avec Alain Chouet, ancien chef de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

RFI : Ce chiffre, plus de 130 Français combattant en Syrie, est-il surprenant à vos yeux ?

Alain Chouet : Non, c’est un chiffre qui est assez cohérent avec ce qu’on avait pu voir en Bosnie, en Afghanistan, en Tchétchénie, etc. sur des volontaires français. Il faut quand même relativiser ce chiffre, il est très faible. On a en France une communauté d’environ 5 à 6 millions de musulmans. Là-dessus, il doit bien y avoir à peu près 3 millions de jeunes, et une centaine ou deux cents volontaires pour des aventures étrangères avec des motivations très diverses. Ça n’a rien d’extraordinaire.

Est-ce qu’il y a un profil type de ces nouveaux combattants ? Qu’est-ce qui les motive ?

Un profil type, oui. On s’aperçoit que ce sont souvent des jeunes convertis, des jeunes désocialisés, sans repères, qui n’ont pas d’emploi, qui ont en général un passé de délinquant, qui ne savent pas trop quoi faire d’eux-mêmes, mais qui cèdent aux sirènes du jihadisme international. Ça reste une frange assez faible de cette population.

Comment ça se passe au niveau du recrutement ? Est-ce qu'internet notamment joue un rôle très prépondérant ?

Internet et tous les systèmes d’information jouent un rôle, et internet plus que jamais évidemment puisque ça permet d’apporter la bonne parole jusque dans tous les foyers à travers les ordinateurs. Cela dit, je ne pense pas qu’il y ait actuellement d’importantes filières de recrutement. On a plutôt affaire à des départs spontanés. On l’a vu avec des jeunes qui ont attaqué des magasins pour se fournir un peu d’argent pour pouvoir se rendre en Syrie via la Turquie. Donc on ne voit bien qu’il n’y a pas de filière particulière de recrutement et d’acheminement. Ce sont des actes pour l’instant plutôt spontanés.

Ces jeunes partent-ils en étant formés ou pas ?

Non, pas du tout. Ils ne sont pas formés. Je ne pense pas d’ailleurs qu’ils apportent sur place une bien grande contribution militaire à la rébellion. En revanche, ils apportent aux sponsors de cette rébellion, c’est-à-dire aux monarchies - à l’Arabie saoudite, au Qatar, aux partis islamistes turcs - un moyen d’internationalisation du problème. Et puis ça permet à ces sponsors de la rébellion d’éviter un règlement purement syro-syrien de la question. Ça permet de faire de la surenchère et de la surveillance sur les différents intervenants en Syrie.

Une fois en Syrie, est-ce qu’on sait réellement aux côtés de qui ils s’engagent ? D’ailleurs, est-ce qu’ils le savent eux-mêmes, aux côtés des rebelles ou aux côtés des grouptes islamistes ?

Pour moi, rebelles et groupes islamistes, pour l’instant ça ne fait plus qu’un puisque l'institut britannique de défense IHS Jane's considère que la moitié des rebelles sont des jihadistes avérés et les autres, on a pu constater, que les leaders laïcs de l’Armée libre syrienne (ASL) sont mis à l’écart par l’AKP turc et à la demande des Koweiti ou des Qataris de façon à ne laisser sur le terrain que les chefs militaires syriens, les déserteurs qui ont des connivences avec l’islamisme. Alors « nos » jeunes sont pris en charge à la frontière en général par des groupes islamistes, et en particulier par le plus important d’entre eux, Jabhat al-Nosra qui est affilié à al-Qaïda.

Ils sont une centaine de jeunes Français. Est-ce que la Syrie supplante l’Afghanistan ou l’Irak comme destination dans la « guerre sainte » ?

Pas pour l’instant. Je ne crois pas. On est à peu près dans les chiffres qu’on avait pu constater en Irak ou en Afghanistan.

En termes de surveillance, est-ce qu’on a réellement les moyens d’identifier les candidats au départ ?

La DCRI [Direction centrale du renseignement intérieur] - et avant elle les RG qui font maintenant partie de la DCRI - constitue un excellent maillage des communautés à problème et de ces jeunes gens à problème. Nos services de renseignement intérieur et extérieur savent à peu près à quoi s’en tenir sur les cas individuels. Cela dit, surveiller les gens un par un et 24 heures sur 24, dès qu’on apporte des chiffres de l’ordre de la centaine devient extrêmement difficile puisque pour assurer la surveillance en permanence de quelqu’un, il faut une équipe de 15 à 20 personnes. Si vous multipliez par 200, vous excédez déjà l’effectif total de la DCRI.

Peut-on remonter comme cela jusqu’à des filières plus importantes ?

Non, je ne crois pas parce qu’il n’y a pas vraiment de filières. En revanche, on connaît très bien qui paye, qui sont les sponsors et qui agite tout ce bocal du jihadisme en Syrie.

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