Un jour avant le match d'ouverture de la Coupe du Monde de football entre l'équipe brésilienne et la Croatie, qui aura lieu ce jeudi 12 juin au stade de Itaquerão à São Paulo, la fronde sociale ne cède pas au Brésil. Les critiques contre les dépenses liées au Mondial déferlent sur les réseaux sociaux et des manifestations sont prévues durant tout le mois de juin.
Les réseaux, vitrines de la contestation brésilienne
Sur Facebook, plusieurs mouvements sociaux se mobilisent dans le but de transformer cet événement planétaire en plateforme revendicative. Sur une page créée par les protestataires, plus de 7000 personnes ont confirmé leur participation à une manifestation prévue pour ce jeudi. La grève des fonctionnaires du métro à São Paulo, qui a provoqué des embouteillages gigantesques dans la ville, en est un exemple. De retour au travail ce mardi, les employés n'ont pas exclu une nouvelle mobilisation demain.
Sur les réseaux sociaux, la Coupe du Monde des mécontents est représentée par le mot-dièse #NaoVaiTerCopa ( « Il n'y aura pas de Coupe du Monde », en français). Utilisé pour la première fois au mois de janvier, il a déjà été mentionné 60 000 sur Twitter et Instagram, le réseau de photos acheté par Facebook très prisé par les Brésiliens.
« Cette campagne a 'capturé' le sentiment de frustration des Brésiliens et ne serait-ce que pour cela, elle a été victorieuse. Le #NãoVaiTerCopa a réussi à dépasser le populisme, a exposé les fragilités, la corruption et a généré des doutes », a résumé une internaute brésilienne sur Facebook.
Critique de l'organisation du Mondial
En référence au mot-dièse #NaoVaiTerCopa, le publicitaire brésilien Raphael Evangelista, 26 ans, a inventé, en février, la campagne #VaiTerCopaSim ( « Oui, la Coupe du Monde aura lieu », en français). Plus de 80 000 personnes ont adhéré au mouvement, une façon apolitique de critiquer l'organisation du Mondial, qui a renforcé, selon lui, quelques clichés sur le pays « du foot et du Carnaval ».
« La Coupe du Monde aura lieu, bien sûr, et elle va coûter cher. Et que restera t-il après ? Rien, sauf si l'on gagne la compétition. On aime le foot et la Coupe du Monde, bien sûr. Mais on sait aussi qu'il s'agit d'un cirque qui a mis le Brésil au devant de la scène », a déclaré le publicitaire au site brésilien UOL.
La décision de la présidente Dilma Rousseff de ne pas faire de discours à l'ouverture du Mondial illustre bien l'ambiance plutôt tiède qui règne dans le pays. L'année dernière, à l'occasion de la Coupe des Confédérations, la chef d'Etat brésilienne avait été huée par les supporters à Brasília.
L'opinion publique divisée
Au delà des clivages politiques, un contre-mouvement demande que le sport ne soit pas utilisé pour chercher à régler les problèmes internes du pays. Pour ces Brésiliens, eux aussi conscients des difficultés sociales, le Mondial n'est pas responsable des problèmes du Brésil.
Ce changement est visible sur Twitter et Instagram : depuis quelques jours, les deux réseaux ont été envahis par les photos de Brésiliens qui montrent les décorations dans dans les maisons, dans les bureaux, et dans les rues, animées surtout par l'arrivée des supporters étrangers. Une étude récente, publiée par l'IBOPE, l'équivalent brésilien de l'Insee, corrobore cette tendance et montre que 51 % des Brésiliens sont, en réalité, favorables à l'organisation de la Coupe du Monde dans le pays.
D'ailleurs, on dit au Brésil que les manifestations seront plus ou moins importantes en fonction des performances de l'équipe brésilienne. En cas d'échec, il est fort possible que la situation s'enflamme. Mais une partie de l'opinion publique, qui jusque-là n’osait pas s'exprimer par peur de soutenir indirectement le gouvernement, commence à sortir de l'ombre et exprime son ras-le-bol face aux manifestations.
« Ne mélangeons pas sport et politique »
« Vous pouvez dire ce que vous voulez. J'aime la Coupe du Monde. Aujourd’hui, je vois mon quartier pulser. C'est là que la Coupe du Monde va commencer et que le monde va s'arrêter », écrit sur sa page Facebook Marcos Sergio Silva, un journaliste brésilien qui a grandit dans le quartier d'Itaquera, où aura lieu le match d'ouverture à São Paulo. Ce quartier est aussi situé dans l'une des zones plus pauvres de la capitale.
Le ministre brésilien du Sport, Aldo Rebello, défend lui aussi l'idée qu'il faut séparer le sport de la politique. « Au Brésil, le football aide à insérer la population la plus pauvre. La Coupe du Monde est une compétition sportive, pas une institution chargée de régler les problèmes du pays », a t-il déclaré au magazine Epoca.
« Les manifestations sont nécessaires, mais le mouvement 'Não Vai Ter Copa' est exagéré. La Coupe du Monde aura lieu et essayer d'empêcher cela est ridicule. Il ne s'agit pas d’arrêter de protester pendant le Mondial, mais utiliser la visibilité de la compétition pour mettre en évidence le mécontentement social », conclut le journaliste sportif Paulo Armando, dans une tribune publiée par le site Brasil Post.