Pavel Dourov avait déjà annoncé son départ le 1er avril dernier. Quelques jours plus tard, il avait pourtant retiré sa démission en expliquant qu’il s’agissait d’un poisson d’avril. Malgré ce retrait, la démission n’a pas été annulée par le conseil d’administration de Vkontakte sous prétexte de « vices de forme ».
« La situation en Russie est incompatible avec le business sur Internet »
Selon le service de presse du réseau, son jeune fondateur (il n’a que 29 ans) avait posé sa démission le 21 mars. Le délai d’un mois prévu pour se rétracter étant achevé, « l’autorité de Pavel Dourov en tant que PDG de Vkontakte a pris fin ». Comme l’explique le site russe Hopes and Fears, il s’agirait plutôt d’un conflit d’intérêts entre les actionnaires du groupe. Pavel Dourov lui-même parle de pression de la part du pouvoir. Il a notamment annoncé que les services spéciaux russes avaient demandé que Vkontakte remette les données personnelles des organisateurs du groupe Euromaïdan, activistes de la contestation pro-occidentale en Ukraine.
« Malheureusement, la situation en Russie est incompatible en ce moment avec le business sur Internet », a ainsi écrit Pavel Dourov le lendemain de son licenciement en annonçant également avoir quitté le pays. « Je crains que le point de non-retour soit franchi. Au moins, depuis que j’ai publiquement refusé de collaborer avec les autorités. Elles me haïssent », avouait Dourov.
« La situation en Russie est également incompatible avec n’importe quel business devenu aussi important et susceptible d’intéresser l’entourage de Poutine qui aurait les moyens d’utiliser les forces de l’ordre dans ses intérêts commerciaux », explique Arseny Bobrovsky, spécialiste d’internet et auteur du compte Twitter parodique du président de la Russie @KermlinRussia.
D’autre part, selon lui « la situation en Russie est inconciliable avec n’importe quelle activité qui concerne l’organisation de la communication des citoyens qui ne serait pas modérée par le pouvoir ». « Le business de Dourov répondait aux deux conditions. Du coup, il était condamné », constate le blogueur.
« Le plus grand réseau social d’Europe après Facebook ! »
« Il est clair que c’est l’aboutissement d’un conflit qu’on voyait déjà depuis plusieurs mois et plusieurs années, un conflit qui a des dimensions commerciales, mais aussi évidement des dimensions politiques », analyse de son côté Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. « Vkontakte c’est un espace immense ! C’est le plus grand réseau social d’Europe après Facebook ! C’est un espace d’information, souvent alternative, et surtout c’est un espace de mobilisation très puissant dont on a pu percevoir tout le potentiel pendant les manifestations de 2011-2012 », rappelle Johann Bihr. Selon ce défenseur des droits de la liberté d’information, « il est clair que ce licenciement est un des nombreux signes de la volonté des autorités d’asseoir un contrôle accru sur l’Internet en Russie. »
Vkontakte gardera les « valeurs chères » à son fondateur
Pour sa part, le porte-parole du Vkontakte, Pavel Lobouchkine, a assuré à RFI que le départ de Pavel Dourov ne changerait rien dans la politique de confidentialité du réseau social. « La compagnie continuera son développement comme avant. Aujourd’hui, notre objectif principal est de conserver notre équipe et de mettre sur le marché de nouveaux produits », insiste-t-il. Selon lui, Vkontakte gardera les « valeurs chères » à son fondateur. Quant au jeune prodige du web russe, installé « quelque part en Europe centrale » avec son équipe de douze ingénieurs, il cherche désormais un pays adoptif… via Facebook. Pavel Dourov décrit ainsi son pays idéal : « Nous aimons les libertés, les bons systèmes de justice, les petits gouvernements, les marchés libres, la neutralité et les droits de l’homme. » Pourtant, il y a encore un mois et demi seulement sur sa page Vkontakte, il mentionnait les raisons de ne pas quitter la Russie dont la première était les impôts bas.
« Dourov était un modèle à suivre »
Pour l’internet russe, le départ de Pavel Dourov « est un coup très dur », considère Arseny Bobrovsky. D’après le blogueur, « Dourov était un modèle à suivre pour la plupart des jeunes entrepreneurs du web russe ; par son exemple, il a montré aux start-upers qu’il était possible, en utilisant ses savoirs et son talent, de créer une entreprise en ligne avec des dizaines des millions d’utilisateurs et de devenir millionnaire. » Selon Hopes and Fears, Dourov posséderait une fortune d’au moins de 300 millions de dollars. « Désormais tout le monde voit comment cela peut finir », constate-t-il.
Ado, Dourov avait appris à coder
Fils d’un professeur de lettres, Dourov a passé une partie de son enfance en Italie, à Turin. Puis sa famille est rentrée à Saint-Pétersbourg. Solitaire, polyglotte et érudit, il est passionné de littérature et d’informatique. Comme le rapporte le Forbes russe, ado, Pavel Dourov avait appris à coder et, pour s’amuser, a remplacé le logo Windows 95 des ordinateurs de son école par la photo du professeur d’informatique avec l’inscription « Must die » (doit mourir). Le professeur en question avait beau interdire l’accès aux ordinateurs, le petit génie a toujours réussi à hacker les mots de passe. Avant Vkontakte, Pavel avait créé Durov.com, une bibliothèque électronique de l’Université de Saint-Pétersbourg dont il était étudiant en lettres anglaises, puis le forum de l’université.
« Son modèle : Neo du film Matrix »
Comme Vkontakte est souvent comparé à Facebook, Pavel Dourov n’a jamais échappé au surnom de « Mark Zuckerberg russe ». Vraiment ? « Non, ils ont une image vraiment différente », assure Nikolaï Kononov, auteur du livre Le Code de Dourov et rédacteur en chef du site Hopes and Fears. Y-a-t-il des points de comparaison ? « Juste leur âge et le fait qu’au départ Vkontakte copiait Facebook », répond Bobrovsky. Pour le reste, Pavel Dourov ne lui ressemble guère. « Son modèle serait plutôt celui de Neo du film Matrix », explique-t-il. « Il devait s’imaginer comme une sorte de monstre d’informatique qui est sur le point de comprendre cette gigantesque réalité numérique et d’apprendre à la gérer. » [...] « Il se sentait à l’étroit en Russie. Il est évident qu’il veut créer un projet qui deviendrait un des leaders mondiaux. Ses efforts sont désormais tournés vers le messenger Telegram, mais je crois que c’est loin d’être son dernier projet », conclut Bobrovsky.