Son image, Bachar el-Assad la soigne. Sur la centaine de clichés postés sur son compte Instagram, qui compte aujourd’hui plus de 30 000 abonnés, le président syrien apparaît affairé derrière son bureau ou au cœur d’une foule le saluant dans la rue. On voit aussi sa femme, au chevet des blessés ou félicitant des étudiants fraîchement diplômés. « Il y a des photos qu’on s’attendrait à voir dans n’importe quel pays du monde mais pas dans un pays en guerre », souligne François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Le couple présidentiel renvoie ici une image de normalité déroutante, contrastant avec celle du conflit sanglant qui, depuis plus de deux ans et demi, a fait plus de 100 000 morts selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Mise en scène
« C’est le propre de situations de ce type-là, on essaie de maintenir une espèce de normalité », précise Yves Gonzalez-Quijano, chercheur au Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo) de Lyon, tout en minimisant l’importance à accorder au compte du président qui ne mérite, selon lui, « ni l’excès d’honneur, ni l’indignité » que lui attribuent les médias. « La lecture de la situation en Syrie donnée à travers les médias était peut-être décollée de la réalité, souligne ce spécialiste du monde arabe. Alors, quand on voit ces images, évidemment que cela ne colle pas du tout avec les images d’un pays à feu et à sang où plus rien ne fonctionne. »
En ouvrant ce compte officiel, baptisé Syrianpresidency, Bachar el-Assad met une nouvelle fois à profit les outils de communication et de mobilisation de masse que sont les réseaux sociaux pour redorer le blason du régime syrien auprès de l’opinion internationale. Pour François-Bernard Huyghe, chercheur spécialisé dans la communication et la cyberstratégie, le président syrien envoie ici un message à la communauté internationale en disant en substance « tout va bien en Syrie, nous sommes en train de gagner, le pays retourne à la normale ». « Bachar s'adresse à ses partisans mais aussi à l’opinion extérieure, à l’opinion russe, iranienne, chinoise, et il ne veut pas laisser ses adversaires occuper le terrain », explique François-Bernard Huyghe pour qui le régime donne presque autant d’importance à la « guerre de l’information » qu’à celle « des missiles et des kalachnikovs ».
Guerre de l'attention
En démocratie comme dans les régimes autoritaires, les réseaux sociaux sont devenus un outil indispensable à la communication politique. Mais en temps de guerre, le cyberespace devient une zone de conflit où se livre une bataille virtuelle dans laquelle chaque partie tente d’occuper le plus de terrain possible. Depuis le début du conflit, le régime syrien et les rebelles multiplient les initiatives sur les réseaux sociaux à coups de photos, de vidéos chocs incriminant l’adversaire pour mobiliser ses partisans, tenter de démoraliser les adversaires et influer sur l’opinion internationale, qu’elle soit favorable ou hostile à la cause.
« Derrière la mise en scène des images bien montées et bien frappantes, il y a ce que j’appelle "la guerre de l’attention". Il ne suffit pas d’avoir un bon message de propagande, il faut aussi s’assurer que les médias viendront vers vous », explique François-Bernard Huyghe. Une position que tempère Yves Gonzalez-Quijano, pour qui le régime tente moins de soigner son image auprès de l'Occident que de survivre et de ne pas être submergé par la vague. Et si Bachar el-Assad utilise les réseaux à sa disposition pour humaniser son image, « il est comme tous les présidents de la terre, bon ou mauvais, il fait dans la communication politique ».