Propos recueillis parAngélique Férat
La politique des forces gouvernementales a consisté à bombarder systématiquement les villages ou les quartiers d’une ville tombée sous le contrôle des forces d’opposition. Dans une ville comme Alep, ce sont des bâtiments entiers ou des groupes de bâtiments qui ont été bombardés, qui ont subi les attaques menées notamment par le biais de missiles balistiques, à la fin du mois de février, ou encore la semaine dernière.
Ces attaques ont réduit en ruines des quartiers entiers. Des milliers de civils, qui habitaient dans ces quartiers, ont totalement perdu leur maison, les murs, et tout ce qu’il y avait à l’intérieur. Des centaines d’habitants, dont une grosse partie sont des femmes et des enfants, ont trouvé la mort. Par exemple, dans les quartiers de Tariq al-Bab, Ard al-Hamra, ou encore Jabal Badro, à Alep, plus de 160 civils résidents ont trouvé la mort en trois attaques balistiques en février.
« La situation humanitaire est vraiment catastrophique »
Le 26 juillet, il y a eu un autre bombardement au sud d’Alep, qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés. Les civils sont bien sûr abandonnés par la communauté internationale, car rien n’a été fait pour leur venir en aide, pour arrêter ces attaques meurtrières. Ils se sentent aussi abandonnés, car l’aide humanitaire dont ils ont désespérément besoin n’arrive que très peu. Ces civils ont en outre été obligés de quitter leur maison à cause des bombardements, et vont vers les camps de déplacés, tout simplement parce qu’ils n’ont plus les moyens de subvenir à leurs besoins et nourrir leurs enfants. On a pratiquement un tiers de la population du pays qui se retrouve aujourd'hui soit déplacé à l’intérieur du pays, soit à l’extérieur. La situation humanitaire est vraiment catastrophique.
On peut dire que toutes les guerres se ressemblent et sont différentes. Aucune guerre n’est une bonne guerre. Les civils en paient le plus souvent le prix . La Syrie rentre bien sûr dans ce type de situations. Il est aussi vrai que, lorsque l’on prend en compte le niveau de destructions, que ce soit en termes de vies humaines ou d’infrastructures, la crise humanitaire, le nombre de personnes déplacées... on peut en conclure qu’il s’agit d’un bilan extrêmement lourd, même lorsque l’on le compare à d’autres conflits. »
« Crimes de guerre »
Ces derniers temps, depuis la fin de l’année dernière et tout au long de cette année, les tensions sectaires entre communautés ont sensiblement augmenté. Je donne l’exemple d’un village qui était d’une population alaouite, chiite et chrétienne, à l’ouest du pays, en route vers la province d’Idleb, ces villages ont été les premiers villages non sunnites tombés sous le contrôle des forces d’opposition. Bien évidemment, la population alaouite et chiite a quitté les lieux au moment où les forces d’opposition ont pris ces villages. La population chrétienne étant elle-même divisée entre différentes communautés. Ceux qui sont restés et que j’ai personnellement rencontrés il y a trois mois ne sont plus présents aujourd’hui dans certains villages, en raison de la présence des groupes extrémistes à forte composante étrangère.
Avec al-Nosra, il n’y a pas eu de problème, mais après al-Nosra, ce sont les étrangers qui sont venus. Ils n’ont cessé de menacer les habitants, ils ont tué le prêtre François. Résultat : ce village que j’ai visité il y a même pas quatre mois est aujourd’hui vidé de sa population. Pendant cette visite, je me suis rendue dans un autre petit village, où il y avait une petite communauté chiite. Quelques semaines avant ma visite, il y avait eu des affrontements, qui s’étaient soldés par la mort de combattants des deux côtés, y compris des civils chiites. Toute la communauté est allée s’abriter dans une zone contrôlée par le gouvernement. Et la veille de ma visite, les groupes armés al-Nosra et l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) sont retournés et ont détruit à l’explosif toutes les maisons et les mosquées des habitants chiites. Ils leur ont par conséquent adressé un message assez clair : ils ne peuvent plus revenir. Ce genre de tensions est clairement en train d’augmenter.
Il est clair que la majorité des crimes de guerre continue d’être commise par les forces gouvernementales, car elles ont un pouvoir de frappe de loin supérieur. Et elles ciblent de façon privilégiée les populations civiles. Mais certains groupes d’opposition, de plus en plus, se livrent au même type de pratiques.