Il y a peu de pays qui peuvent prétendre être capables de ramener un véhicule sur Terre depuis l’espace. Avec le succès de l’essai de l’IXV, l’Europe en fait désormais partie. Les pionniers, ce sont les Russes, avec l’une des missions spatiales les plus emblématiques, celle qui a conduit Youri Gagarine à être le premier homme dans l’espace. Depuis, le savoir-faire russe en la matière est inégalé, grâce notamment à l’emblématique Soyouz, la seule capsule capable à l’heure actuelle de faire le taxi de l’espace entre la Terre et la Station spatiale internationale (ISS).
Les Américains possèdent également ce savoir-faire : les missions Apollo et les navettes spatiales l’ont démontré, même si depuis l’arrêt de ces dernières, les Etats-Unis doivent faire appel aux Russes pour envoyer des cosmonautes à bord de l’ISS. Pour pallier ce manque, la NASA est en train de développer la capsule Orion, et fera appel à une entreprise privée, Space X, à partir de 2017. En effet, la société fondée par Elon Musk maîtrise déjà la rentrée atmosphérique avec sa capsule Dragon. Un de ces « cargos de l’espace » s’est d’ailleurs détaché de l’ISS mardi 10 février pour ramener du fret sur Terre.
Pourquoi l’Europe veut-elle sa navette ?
Le Vieux Continent n’en est pas à son coup d’essai et avait déjà tenté le retour sur Terre depuis l’espace. Mais l’Europe avait abandonné son projet de navette Hermès en 1992. Concrètement, la mission IXV intervient dans le cadre du projet PRIDE (Program for Reusable In-orbit Demonstrator in Europe), dont c’est le premier programme. A terme, il s’agit ainsi de doter l’Europe d’un moyen permettant de ramener du fret depuis l’espace. Même si les applications définitives ne sont pas encore définies, cela peut aller de missions de retour d’échantillons depuis d’autres planètes ou astéroïdes, ou de rapatriement de matériel en provenance de la Station spatiale internationale.
Dans sa forme actuelle, l’IXV ne peut pas accueillir d’équipage humain. Il devra alors nécessairement être modifié, en une version plus volumineuse et plus lourde. Mais avant cela, il a fallu tester sa technologie de boucliers thermiques, et de guidage. C’est l’objet du test de ce mercredi 11 février 2015.
L’autre enjeu est économique. Le problème quand on envoie quelque chose dans l’espace, c’est que le lanceur brûle et est détruit en rentrant dans l’atmosphère. Il faut donc tout reconstruire à chaque fois, ce qui multiplie les coûts. Un véhicule capable de revenir sur Terre sans encombre est donc réutilisable, ce qui diminue d’autant les coûts.
Comment fonctionne l’IXV ?
L’IXV est à mi-chemin entre la navette spatiale, dont les ailes permettent une grande manœuvrabilité, et une capsule, qui se contente de tomber en chute libre, puis ralentie par des parachutes. Il s’agit uniquement d’un démonstrateur technique, qui à ce titre ne volera qu’une fois et qui ne consiste qu’à valider des technologies. Il est important d’en passer par cette étape de démonstration pure, puisque les conditions de rentrée d’un véhicule depuis l’espace dans l’atmosphère sont presque impossibles à modéliser numériquement. Il est donc nécessaire de réaliser un essai grandeur nature afin d’en tirer le plus d’enseignements possible.
Concrètement, l’IXV est un véhicule cylindrique, qui n’a pas d’ailes, mais qui peut tout de même être dirigé a minima, de cinq mètres de long pour deux tonnes. Avec 40 minutes de retard, c’est une fusée Vega qui l’a lancé depuis la base de Kourou en Guyane à 13h40 TU. Il a ensuite atteint son altitude maximum à plus de 400 kilomètres d’altitude (c’est à peu près à cette altitude qu’orbite la Station spatiale internationale) avant de retomber en chute libre, déployer ses parachutes, et s’abîmer dans le Pacifique à plus de 2 000 kilomètres des côtes mexicaines, où il est récupéré par un bateau.
Présenté comme cela, ça a l’air simple, mais la manœuvre, qui a duré 100 minutes au total est bien sûr beaucoup plus compliquée que cela, et notamment l’étape critique de la rentrée atmosphérique, qui a lieu à environ 120 kilomètres d’altitude. A ce moment de sa chute, l’IXV file à 7,5 kilomètres par seconde, soit 27 000 kilomètres par heure. A cause de la pression (et non les frottements !) que l’atmosphère exerce sur lui, il chauffe, la température pouvant atteindre jusqu’à 1 700 degrés sur certains endroits de sa coque. Pour éviter de consumer entièrement comme le fait d’habitude n’importe quel objet revenant de l’espace, l’IXV est donc doté d’une protection thermique. C’est une matrice de céramique contenant des fibres de carbone qui est censée tenir le choc et protéger l’habitacle. Ce quelle a fait avec succès.
Autre enjeu important, l’angle avec lequel l’IXV a pénétré dans l’atmosphère. Une trop grande « prise au vent » l’aurait désintégré, un angle trop étroit aurait abouti au même résultat, et un angle trop grand l’aurait éloigné de la zone prévue d’amerrissage. Une fois correctement entré dans l’atmosphère, la partie n’était toujours pas gagnée. Puisque l’IXV n’a pas d’ailes, ce sont quatre tuyères et deux volets arrière inclinables qui ont eu la charge de maintenir sa trajectoire, de façon automatique. Une nouvelle fois, la moindre erreur aurait entraîné la désintégration, ou un atterrissage au mauvais endroit.
Au total, ce sont donc 300 capteurs qui ont équipé le prototype pour enregistrer comment s’est comporté la navette : sa trajectoire, sa résistance à la chaleur, les conditions de son environnement.
Prochaine étape : le développement du successeur de l’IXV puisque celui-ci n’était qu’un véhicule de démonstration technique. Le prochain engin devrait être plus gros et pouvoir se poser sur une piste. Cela permettra à terme de ramener depuis l’espace du fret de la Station spatiale internationale, voire des échantillons en provenance d’autres planètes, et pourquoi pas, des humains.