Les scientifiques l’ont longtemps cru disparu. Le coelacanthe, c’est le chaînon manquant entre les poissons et les premiers vertébrés. Une créature aux airs préhistoriques, avec des pattes naissant le long de ses nageoires et même le commencement de ce qui laisse présager de futurs poumons. Sur toute la seconde moitié du XXe siècle, des pêcheurs retrouveront totalement par hasard quelques spécimens vivants de ce qui semblait être une espèce disparue. Pour les zoologistes, c’est la découverte du siècle.
Cette légende scientifique se poursuit aujourd’hui en Afrique du Sud où une équipe de chercheurs locaux et français se lance dans un ambitieux projet. L’expédition « Gombessa » - c’est le nom du coelacanthe là-bas – doit permettre d’étudier l’animal dans son milieu naturel, à plus de 100 mètres de profondeur, dans des grottes au fin fond de la baie de Sodwana, près de la frontière avec le Mozambique.
Une occasion unique pour Laurent Ballesta, le responsable de cette expédition. « C’est comme si d’un seul coup, des spécialistes des dinosaures pouvaient entrer dans Jurassic Park », s’enthousiasme-t-il quelques heures avant de prendre l’avion pour l’Afrique du Sud. Il est le premier Français à avoir pu nager au milieu de ces descendants de la préhistoire, en 2010.
Plongée scientifique à hauts risques
Les premiers plongeurs sud-africains ont localisé le foyer de l’animal en 2000. Deux perdront la vie en tentant d’aller l’étudier. Les chercheurs hésiteront par la suite à tenter l’impossible pour aller observer ces coelacanthes dans leur milieu naturel et ce sont de coûteux robots qui prendront la relève.
La machine ne peut pourtant pas remplacer l’homme et Laurent Ballesta prouve une première fois en 2010 qu’il est possible d’envoyer des plongeurs sur place. Depuis, il prépare l’expédition Gombessa qui doit permettre, à partir du 5 avril et pendant quarante jours, de réaliser une série de plongées dans les profondeurs de la baie.
Chaque descente est un exploit : s’il suffit de deux à quatre minutes pour atteindre les grottes, il faut quatre à cinq heures pour remonter, en raison des paliers de décompression. Cela ne laisse que trente-cinq minutes sur place pour relever tous les éléments scientifiques nécessaires à l’étude des coelacanthes.
Le site de la baie de Sodwana est pourtant le plus facile d’accès. Les scientifiques savent que d’autres poissons se trouvent ailleurs, à Madagascar, en Indonésie et peut-être même en Tanzanie : des pêcheurs en retrouvent régulièrement un, totalement par hasard dans leurs filets. Les chercheurs n’ont pourtant jamais réussi à localiser les zones dans lesquelles vivent ces animaux, dans ces différents pays. Seul autre foyer clairement identifié, un groupe de coelacanthes vivant au large des Comores… à plus de 200 mètres de profondeur.
Sud-Africains et Français, chacun ses objectifs scientifiques
L’équipe de l’expédition Gombessa est composée de six scientifiques français et de six Sud-Africains, issus respectivement du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Institut sud-africain pour la diversité aquatique. Chaque groupe a des objectifs scientifiques clairement différents.
Les Sud-Africains s’intéressent à l’aspect biologique du coelacanthe. Ils veulent identifier comment vivent ces animaux, qui pourraient être moins nombreux aujourd’hui que les pandas. Comprendre ce poisson, son mode de vie, son milieu naturel, ses éventuels flux migratoires pourrait permettre de préserver une espèce particulièrement rare et fragile. Au moment de sa découverte, en 2000, toute la zone a été rattachée au parc naturel le plus proche. Jamais un spécimen n’a pu être récupéré vivant, toute capture entraînant une mort immédiate.
Les Français, eux, s’intéressent à la généalogie de l’animal et à la transition qu’il représente vers la vie terrestre. Pour les paléontologues et les biologistes, ces poissons sont une occasion unique d’étudier des animaux que l’on a cru disparus depuis soixante-dix millions d’années : tous ont commencé à l’analyser au travers de fossiles et de théories.
Au fond de l’océan, Laurent Ballesta sera le bras armé de ces chercheurs. Ces derniers lui transmettront les différents protocoles préparés pendant trois ans pour qu’ils puissent récolter des résultats. Lui et sont équipe seront chargés, par exemple, de filmer l’animal sur plusieurs axes pour pouvoir enregistrer et modéliser les mouvements de ses nageoires. « Une tâche qui n’est déjà pas aisée à dix mètres avec un mérou, s’amuse le plongeur. Alors imaginez à cent mètres avec un coelacanthe ! »