Les professionnels du nucléaire français s’interrogent à voix haute

« Personne ne pourra jamais garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire grave en France » : la phrase, lâchée il y a quelques jours par André-Claude Lacoste, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire en France (ASN), a fait frémir. Trois semaines après le traumatisme de Fukushima, la France se livre à un « retour d'expérience », ou comment tirer les leçons d'un accident nucléaire.

Les manquements à la sécurité de TEPCO, l'exploitant de la centrale japonaise ont éclaté au grand jour avec la catastrophe nucléaire de Fukushima : mensonges à l'autorité nucléaire japonaise, négligence dans l'entretien des centrales et surtout ignorance du cumul des risques liés à un séisme suivi d'un tsunami.

En réaction le Premier ministre français, François Fillon, a commandé à l'ASN un audit de toutes les installations nucléaires en France, à commencer par ses 58 réacteurs.
Pour André-Claude Lacoste, son président, « l’ASN va regarder s’il y a matière à reconsidérer rapidement les règles liées à la sécurité nucléaire. Le Premier ministre nous a demandé de regarder 5 sujets, qui s’imposent d’eux-mêmes : l’aléa sismique, l’aléa lié aux inondations, la perte d’alimentation en eau, la perte d’alimentation électrique et la gestion de crise ».

Un défaut général d’anticipation

Créé en 2006 l’ASN, sorte de gendarme du nucléaire, réalise chaque année des inspections de sécurité sur les installations nucléaires françaises. Dans son dernier rapport elle souligne un défaut général d'anticipation dans la maintenance et le remplacement des réacteurs.

Olivier Gepta, le vice-président de l'ASN, cite notamment « le remplacement des générateurs de vapeur, qui sont de gros composants sur la centrale, sur les centrales Bugey 3. Ils sont arrivés en fin de vie avant qu’EDF ne les ait remplacés et ça a conduit à ce que la centrale reste à l’arrêt pendant une vingtaine de mois ».

La sécurité nucléaire en France peut donc être largement améliorée

Chaque incident nucléaire doit être déclaré à l’ASN par l’exploitant avant d’être l’objet d’un contrôle puis d’un rapport de l'autorité de sûreté qui le classe, en fonction de sa gravité sur une échelle de 0 à 7. Quelque 1 107 accidents ont été déclarés en France en 2010, dont 3 de niveau 2, qui correspondent à la contamination importante d'un travailleur.
La sécurité nucléaire en France peut donc être largement améliorée. La Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité (Criirad) partage le constat. Pourtant la question d'un nouvel audit sur le nucléaire français y est largement débattue.

Pour son président, Romain Desbordes, « cela revient à demander au gendarme de faire son autocritique, c’est difficile à obtenir. Il faudrait en fait qu’il y ait de vrais experts indépendants dans le domaine, malheureusement, à ma connaissance il n’en existe pas. Vu comme ça on demande aux inspecteurs, dont c’est le boulot quotidien, de refaire leur travail, ils l’interprètent comme un manque de confiance, ça les choque un peu. Par ailleurs je ne pense pas qu’ils feront des rapports très critiques, cela reviendrait à ce qu’ils se remettent en cause eux-mêmes. »

« Le plus préoccupant en France n’est pas le risque sismique »

Une question, bien qu'abordée par le rapport 2010 de l’ASN, n’est pas intégrée à l’audit à venir : le statut professionnel des quelque 20 000 sous-traitants du secteur nucléaire –autant que les salariés d’EDF, qui exploite les centrales- contribue à fragiliser la sécurité nucléaire, dont ils ont la responsabilité.

Pour Michel Lallier, chimiste retraité de la centrale de Chinon (dans l'Indre-et-Loire) et représentant de la CGT au sein du Haut comité à la transparence et à l'information sur la sécurité nucléaire, « lorsque les contrats sont revus tous les trois ans, on peut voir des entreprises qui travaillaient depuis 3, 6 ou 9 ans qui débarquent un beau jour avec des nouveaux salariés qui ne connaissent pas l’histoire de cette maintenance, qui ont tout à réapprendre, ce ne sont pas des conditions de travail propices à l’industrie nucléaire. Ce n’est pas forcément le risque sismique qui est le plus préoccupant dans les centrales nucléaires aujourd’hui. Il faut avoir une approche de la sûreté dans toutes ses dimensions ; autant technique qu’organisationnelle et humaine.»

La question des conditions de travail des salariés du nucléaire, pourtant, n'est pas intégrée à l'audit dont on attend les conclusions pour la fin de l'année 2011. L'ASN avance, elle, que « sous-traiter une activité à une entreprise prestataire ne signifie pas qu’elle sera réalisée dans de moins bonnes conditions de sécurité. »

Et elle évoque plusieurs hypothèses pour renforcer la sécurité nucléaire en France : créer un parc de secours de générateurs diesels sur toutes les installations nucléaires ; ou pour les centrales installées le long de la côte ou installer les générateurs diesels sur les falaises sur lesquelles elles sont construites plutôt qu'en bas. Des précautions qui n'avaient pas été prises en compte à Fukushima. 

 

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