A l'issue d'un long entretien mardi 22 octobre à Sotchi, en Russie, le président russe Vladimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan sont parvenus à un accord par lequel Ankara s'engage à ne pas reprendre son offensive militaire dans le nord de la Syrie, en échange de quoi Moscou promet un retrait des forces kurdes tout au long de la frontière dans un délai de 150 heures à compter de ce mercredi midi.
■ Un recul pour les Kurdes
L’offensive turque a rogné le territoire que les Kurdes contrôlent dans le Nord syrien. Lâchés par les Américains et attaqués par la Turquie, les Kurdes de Syrie n’ont eu d’autre choix que d’appeler à la rescousse le régime de Damas. Fragilisés et affaiblis, les Kurdes de Syrie vont devoir négocier un nouvel équilibre politique avec le pouvoir de Bachar el-Assad. C’est un recul pour les Kurdes qui espéraient faire durer le système politique autonome qu’ils ont instauré dans leurs régions depuis le début du conflit syrien en 2011.
■ La Turquie obtient sa « zone de sécurité »
Lors de cette troisième offensive en quatre ans en territoire syrien, la Turquie a éloigné les combattants kurdes syriens de sa frontière. L’offensive étant terminée, Ankara a obtenu ce mercredi de Donald Trump la levée des sanctions que les États-Unis avaient dégainées pour faire pression sur le président Erdogan.
Reste à savoir si la Turquie pourra mettre en œuvre la deuxième partie de son plan : réinstaller 1 à 2 millions de réfugiés syriens dans la fameuse « zone de sécurité » qu’elle a imposée pendant son offensive et qui apparait validée dans l’accord conclu avec Moscou. Les transferts forcés de population sont interdits par le droit international et rien ne dit que des centaines de milliers de Syriens voudront s’installer dans cette « zone de sécurité » à la frontière turco-syrienne.
■ La Russie incontournable
Cet accord russo-turc conclu et annoncé à Sotchi en présence de Vladimir Poutine confirme une fois de plus que la Russie est devenue une puissance incontournable au Moyen-Orient. En Syrie, Moscou est devenu le premier acteur militaire en 2015, lorsque son armée est entrée en guerre pour défendre le régime de Bachar el-Assad. Hasard du calendrier : alors que la Russie s’imposait comme arbitre dans le Nord syrien ces dernières semaines, Vladimir Poutine effectuait une visite remarquée en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
■ Le régime de Damas bénéficiaire
Soutenu par la Russie et par l’Iran, le régime de Bachar el-Assad a été appelé à la rescousse par les Kurdes syriens lorsque la Turquie a lancé son offensive le 9 octobre. Tout en dénonçant une « agression » turque, le pouvoir syrien a ainsi pu remettre la main sans combattre sur des zones qui lui échappaient depuis des années.
Bachar el-Assad a fait mardi une apparition rare et remarquée sur un autre front dans la région d'Idleb, ville contrôlée par des rebelles et des jihadistes. Le président syrien y a rappelé son intention de « mettre fin au désordre et au terrorisme dans toutes les régions syriennes ». Un régime renforcé, donc, dans sa volonté de reconquête, mais plus que jamais dépendant de ses soutiens politiques et militaires : la Russie et l’Iran.
■ Une opportunité pour le groupe État islamique
Selon un responsable américain, plus d’une centaine de membres du groupe Etats islamique détenus par les Kurdes se sont échappés ces derniers jours, sur fond d’offensive turque en territoire syrien.
Cette situation renvoie les pays occidentaux dont la France face à leurs contradictions. En refusant de rapatrier leurs ressortissants détenus par les Kurdes en Syrie, ils prennent le risque de voir s’échapper ces jihadistes qui peuvent alors reconstituer des cellules sur place ou tenter de revenir de façon incontrôlée et donc dangereuse dans leurs pays d’origine.
Environ 300 femmes et enfants français sont détenus par les Kurdes de Syrie. Ces forces kurdes détiennent en tout 12 000 jihadistes dont 2 500 à 3 000 étrangers.
■ Le désengagement américain
« Le travail de notre armée n’est pas d’être le gendarme du monde », a réaffirmé Donald Trump ce mercredi soir. D’autres pays doivent désormais s’investir au Moyen-Orient et partager le fardeau, a ajouté en substance le président américain.
Il indique que seuls quelques centaines de soldats américains se trouvent encore en Syrie, principalement dans le sud et dans l’est du pays, notamment pour « protéger le pétrole ». Mais dans le nord de la Syrie, les militaires américains ont évacué leurs bases et c’est d’ailleurs l’annonce de leur départ qui a ouvert la porte à l’offensive turque il y a deux semaines.
Cette volonté de désengagement de l’administration Trump se heurte toutefois à des obstacles et des contradictions. Les États-Unis ont toujours 5 000 hommes en Irak, au nom de la lutte antijihadiste. Et des milliers d’autres sont en route vers l’Arabie saoudite pour y renforcer l’un des principaux alliés de Washington dans la région, sur fond de tension avec l’Iran.