Le 7 février au soir, les Etats-Unis qui dirigent la coalition anti-jihadiste en Syrie mènent des frappes dans la région de Deir Ezzor contre des combattants pro-régime. Washington avance un bilan de 100 morts et explique avoir défendu ses alliés, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes qui les aident dans la lutte contre l'organisation Etat islamique.
Les FDS étaient attaquées ou sur le point de l'être par ces combattants pro-régime. L'enjeu de l'opération était visiblement de récupérer des champs gaziers contrôlés par les FDS.
Jusqu'à présent, Moscou, qui est allié au régime de Bachar el-Assad, avait réfuté toute implication dans cette opération. Aucun de ses soldats n'était sur place. Mais quelques heures après l'attaque, des informations faisant état de la mort de plusieurs Russes, des mercenaires employés par une société privée, ont circulé. Certains ont parlé de centaines de victimes.
La diplomatie russe reste prudente dans ses déclarations. Moscou a reconnu que cinq citoyens russes avaient « a priori » été tués au cours de ces frappes, soulignant qu'ils n'appartenaient pas à l'armée russe. Mais l'affaire est embarrassante. Il s'agit d'un des affrontements indirects les plus graves entre Moscou et Washington.
La Russie face à la question des « contractants militaires »
Les victimes russes du raid américain contre les forces du régime d’Assad plongent la Russie dans la question de la reconnaissance du statut des « contractants militaires », ces soldats engagés dans des conflits par le biais d’entreprises privées et non pas les armées nationales.
Selon le quotidien Kommersant, rapporte notre correspondant à Moscou,Jean-Didier Revoin, au moins 600 mercenaires russes, des soldats travaillant pour une entreprise militaire privée du nom de Wagner, seraient déployés sur le sol syrien. Leur tâche serait d’assister les soldats de l’armée syrienne mais surtout de sécuriser certaines infrastructures, des sites pétroliers principalement, comme c’est le cas dans la région de Der ez-Zor. Outre Wagner, créée en 2014 par un ancien membre des forces spéciales russes, il existe d’autres compagnies paramilitaires telles Evro Polis, Oryol, Moran ou encore RSB Group.
Un secteur d’activité que les autorités russes cherchent aujourd’hui à réguler. Les députés débattront en effet prochainement d’une loi protégeant les Russes travaillant à l’étranger pour ces sociétés paramilitaires. « Il faut s’assurer qu’ils aient une couverture sociale et que leur familles touchent une pension en cas de décès », souligne le parlementaire Anton Morozov tandis que Grigori Yavlisny, candidat à la présidentielle du parti libéral Iabloko, a dénoncé le fait qu’en utilisant des mercenaires, l’Etat russe ne reconnaissait pas ses morts, en rappelant les exemples de la Tchétchénie, et plus récemment du Donbass, dans l’est de l’Ukraine.
L'image de la Russie mise à mal
Selon plusieurs sources, plusieurs dizaines de mercenaires employés par la société militaire privée russe Wagner auraient été tués. Les veuves de ces mercenaires commencent à témoigner sur les réseaux sociaux et la polémique enfle à Moscou. Pour le politologue Dmitri Orechkine, cette affaire ne risque pas d’améliorer l’image que les Russes ont des opérations menées par Moscou en Syrie.
« En général, la guerre en Syrie ne jouit pas d’une forte popularité dans l’opinion publique russe. Même les enquêtes menées par les instituts de sondage proches du pouvoir indiquent que près de 40% de la population soutient les actions en Syrie, pas plus. Mais ce pourcentage va sûrement diminuer.
Il y a des questions légitimes qui se posent : on nous dit qu’on a vaincu en Syrie, qu’on a retiré nos troupes, et là, on apprend cette nouvelle. Ce qui est le plus gênant pour le pouvoir, c’est que son système de valeurs hybrides est mis à mal avec cette affaire. Ce système nous inculque que l’Occident est peureux, faible, qu’il ne veut pas s’impliquer en Syrie et voilà qu’on est confronté à cet affront.
C’est pourquoi le pouvoir tente de faire croire qu’il ne s’est rien passé. Mais de toutes manières, son image est écornée, parce qu’ils ont beau dire : "ce ne sont pas nos hommes", ça n’est pas suffisant. Les gens veulent avoir des réponses. »