Turquie: mandat d'arrêt contre le leader politique des Kurdes de Syrie

Mardi 22 novembre 2016, la Turquie a émis un mandat d'arrêt contre le Kurde syrien Saleh Muslim, co-président du Parti de l'union démocratique (PYD), dont les forces combattent le groupe Etat islamique en Syrie avec l'appui des Etats-Unis. La justice turque a demandé l'arrestation de 48 personnes au total, en lien présumé avec un attentat commis à Ankara en février dernier. Une décision politique, selon les Kurdes de Syrie.

Lorsque le conflit syrien a éclaté, le Kurde Saleh Muslim se rendait régulièrement en Turquie. Ankara le considérait comme un partenaire potentiel en Syrie, au même titre que les Kurdes d'Irak. Mais le co-président du PYD est désormais visé par un mandat d'arrêt chez le voisin du nord, parmi 48 personnes dont trois hauts dirigeants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), à savoir Cemil Bayik, Murat Karayilan et Fehman Hüseyin.

M. Muslim, dont le dernier voyage en Turquie remonte à l'été 2015, est désormais considéré comme un « chef terroriste » par le régime Erdogan. Alors qu'il continue de se déplacer régulièrement - il s'est notamment rendu à Bruxelles à plusieurs reprises -, les dirigeants turcs ont multiplié ces derniers jours les critiques envers des pays européens, l'Allemagne en tête, les accusant de « soutenir » le PKK, une organisation terroriste aux yeux d'Ankara.

Les mandats d'arrêt émis sont en lien avec l'attentat du 17 février à Ankara, une attaque à la voiture piégée contre un convoi de l'armée, qui avait fait une trentaine de morts dans la capitale turque et avait été revendiquée par un groupe dissident du PKK, les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK). Les autorités turques avaient affirmé que l'attentat avait été planifié par le Parti des travailleurs du Kurdistan et les forces kurdes syriennes, les Unités de protection du peuple (YPG).

Les YPG, branche armée du PYD, font partie d'une coalition arabo-kurde qui combat, sur le sol syrien, les jihadistes du groupe Etat islamique avec l'appui de Washington. Un sujet de contentieux entre les Etats-Unis et la Turquie, alliés au sein de l'Otan. A l'issue d'une enquête éclair, la justice turque avait identifié un Kurde de Syrie, un certain Salih Necar, comme étant l'auteur de l'attaque du 17 février. Un individu soupçonné d'avoir les liens avec les YPG syriennes...

Aux yeux des Kurdes, les procédures lancées en Turquie n'ont aucun crédit

Joint par l'Agence France-Presse, Saleh Muslim donne peu de crédit à cette procédure judiciaire engagée à son encontre à Ankara. « Les tribunaux en Turquie prennent leurs ordres de l'Etat et des membres du Parlement y sont même détenus », fait-il remarquer. « Personne ne va prendre cette décision au sérieux. Je ne suis pas un citoyen turc pour faire l'objet d'un mandat d'arrêt », considère-t-il, rappelant qu'il avait condamné l'attentat du 17 février et qu'il jugeait « inacceptable cette tentative de m'y mêler ».

Selon Murat Polat, membre du Conseil démocratique kurde en France, ces mandats d'arrêt traduisent donc surtout la grande crainte dans la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan de voir se constituer une zone autonome kurde à sa frontière. Il y voit une énième manœuvre pour tenter de faire échouer ce projet. « La Turquie voit à sa frontière les Kurdes de Syrie avancer. La Turquie d'Erdogan voit à sa frontière des Kurdes qui essaient de mettre en place un système démocratique qui défend la laïcité », estime-t-il.

M. Polat dénonce sur RFI le fait que le président turc « défend les mêmes valeurs que Daech ». « Aujourd'hui, je pense qu'Erdogan a fini par faire tomber son masque, on le voit à travers les lois qu'il essaie de faire passer en Turquie. Donc, pour Erdogan, avoir un voisin comme Daech était, on peut dire, l'idéal, et avoir un voisin comme les Kurdes, qui défendent les valeurs du PYD, c'est-à-dire des valeurs de démocratie ; qui essaient de mettre en place un confédéralisme où toutes les minorités confessionnelles ou ethniques puissent avoir leur place, est un cauchemar. »

Fin août dernier, l'armée turque a lancé une opération sans précédent en Syrie, où elle appuie ses propres rebelles locaux, avec un double objectif : repousser l'organisation EI et les Kurdes plus au sud. Mardi, Recep Tayyip Erdogan a assuré que les rebelles syriens que son pays soutient étaient « aux portes d'al-Bab », et qu'une fois cette ville prise, ils iraient jusqu'à Minbej, localité tenue par les milices kurdes. « Nous voulons que Minbej soit vidé des YPG et du PYD », a même ajouté M. Erdogan, alors que les Américains comptent sur les Kurdes dans la bataille de Raqqa.

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