Avec notre envoyée spéciale à Bachiqa, Oriane Verdier
Shevan traverse la tranchée qui matérialise la frontière entre le Kurdistan et le reste de l’Irak. Ce jeune peshmerga a les bras chargés de victuailles. Il apporte à manger pour sa famille.
« Avant que Daech ne vienne, raconte-t-il, notre village était contrôlé par les peshmergas. Cette tranchée-là n'existait pas. La frontière du Kurdistan était plus loin. Mais maintenant ma famille doit attendre une permission pour retourner au Kurdistan, notre village n'est plus sur son territoire. On nous a dit qu'ils les laisseraient peut-être entrer aujourd'hui vers 4h, pour les emmener directement dans des camps. »
Cela fait déjà trois jours et deux nuits, la famille de ce combattant kurde dort à même le sol dans le froid, espérant que le Kurdistan irakien leur ouvre enfin ses portes. L’oncle de Shevan ne comprend pas ce rejet : « Je suis très énervé. Parce que mes enfants sont fonctionnaires de l'autre côté de cette frontière. Mon neveu est peshmerga. Ils travaillent tous au service du Kurdistan. Mais nous on ne nous laisse pas passer alors que nous venons d'un territoire kurde. Il faut que des responsables viennent demander à chaque famille si elle vient d'Irak ou du Kurdistan. Notre village à nous fait partie du Kurdistan et on ne nous laisse pas passer. Nous sommes des oubliés de l'Irak. »
Les nouvelles frontières du Kurdistan irakien se dessinent au fil de la lutte contre Daech, sur fond de négociations politiques avec Bagdad. En attendant, des centaines de familles sont étrangères des deux côtés de la frontière.
« Ca fait presque deux ans et demi que nous sommes comme morts »
Sur une grande plaine désertique, entre la tranchée tenue par les peshmergas et les territoires contrôlés par l'organisation Etat islamique des centaines de personnes attendent. Amina a étendu une couverture sur la poussière. Elle discute avec ses filles : « Notre futur est parti, détruit. Ca fait presque deux ans et demi que nous sommes comme morts. Nous n'avons pas vécu dans ce monde. On ne peut jamais en finir avec la souffrance. C'est souffrance après souffrance et tout ça pour en arriver là, assis dans la poussière... »
Ces familles ont pensé trouver un refuge au Kurdistan où sont situés la majorité des camps de déplacés. Mais selon le général peshmerga Bahram, ces camps sont déjà saturés. « Ça fait deux mois que je dis à tous les médias du monde que la capacité du gouvernement du Kurdistan est limitée, déplore-t-il. Au plus fort de la bataille de Mossoul il y aura minimum 500 000 personnes aux portes du Kurdistan. Nous n'avons pas suffisamment de place pour les recevoir, ni suffisamment de nourriture, d'électricité. Il faut s'attendre à une importante catastrophe humanitaire. »
Plus d'un million de personnes habitent encore à Mossoul. Pour contenir la crise, l'armée tente garder la population à l'intérieur de la ville. Mais devant la violence des combats beaucoup doivent choisir entre fuir, ou mourir.