«En Israël, il y a une minorité très dangereuse pour les négociations»

Jérusalem-Est est en proie à de vives tensions depuis quelques jours. Les policiers israéliens ont tué ce jeudi 30 octobre un Palestinien soupçonné d'avoir tiré sur un militant ultra-nationaliste juif quelques heures auparavant. Les autorités israéliennes ont décidé de fermer l'accès à l'Esplanade des Mosquées. C'est une déclaration de guerre, affirme le président palestinien. Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques associé à l’université libre de Bruxelles, livre son analyse de la situation.

La fermeture de l’Esplanade des Mosquées par les autorités israéliennes n’est pas une première. Est-ce une mesure nécessaire et comment cela est-il vécu par les Palestiniens ?

Sébastien Boussois : Nécessaire, je n’en suis pas persuadé. Je crois qu’il faut réinscrire ça dans un contexte global, celui des tensions dont vous avez parlé. Il y a des tensions classiques qui sont liées à cette ville trois fois sainte. Sur un kilomètre carré, ça en fait un espace évidemment extrêmement explosif. Et puis il y a des tensions supplémentaires qui sont liées au-delà de la guerre à Gaza, au-delà de la réunification du camp inter-palestinien, au-delà de l’ébranlement de Benyamin Netanyahu accusé au sein même de sa majorité de ne pas avoir été jusqu’au bout dans la guerre à Gaza, à des éléments problématiques : la colonisation, évidemment, et la judaïsation de Jérusalem-Est et le symbole de Silouane qui est également explosif… Et ce symbole de l’Esplanade des Mosquées et du Mont du Temple.

Il y a plusieurs problèmes à cela. Le contrôle de l’Esplanade a toujours été fait par les autorités israéliennes, ce qui est en soi un problème. Que cela concerne la question des horaires, que cela concerne les personnes qui ont droit d’y entrer. En général, ce sont les personnes de plus de 60 ans – on est extrêmement sélectifs au niveau de regroupements sur l’Esplanade des Mosquées – et vous avez ce qui me paraît être le problème tout à fait symbolique en ce moment, cette Institut du troisième temple qui a un certain nombre de gages aujourd’hui, donnés par le gouvernement israélien.

Et ce qui s’est passé hier est malheureusement tout à fait prévisible. Les Palestiniens vivent très mal tout ce qui est en train de se passer aujourd’hui, aussi bien à Gaza évidemment, qu’en Cisjordanie, mais aussi à Jérusalem-Est. Une marge d’illuminés sont dirigés par le rabbin Glick et ont pour seul objectif de détruire l’Esplanade des Mosquées. Ce qui n’est pas un problème uniquement pour les Palestiniens, mais qui est un problème pour l’ensemble des musulmans, puisque c’est le troisième lieu saint de l'islam. Et vous avez ce groupe qui veut juste uniquement, au-delà du Kotel et du Mur qui est le premier lieu saint juif, reconstruire le troisième temple sur le fondement et sur la destruction de l’Esplanade des Mosquées, du Dôme du Rocher.

Donc évidemment, on a l’impression d’être dans quelque chose au départ de tout à fait utopique. Mais on entend de plus en plus parler et ce groupe prend de plus en plus d’importance, y compris en termes de sympathie au sein même du gouvernement israélien, aujourd’hui extrêmement nationaliste et extrêmement tendu et fervent de ce projet complètement fou.

Une proposition de loi est également à l’étude devant le Parlement qui autoriserait les juifs à prier sur le Mont du Temple. Est-ce que vous pensez que les choses peuvent évoluer dans ce sens aujourd’hui ?

Je pense que ça s’inscrit dans un contexte permanent de nouvelles lois du côté israélien, qui sont des éléments de tension dont je pense qu’on pourrait largement se passer. En tout cas attendre qu’on revienne dans un cadre global de négociations et de reprise d’un prétendu processus de paix

Cette reprise des négociations est-elle aujourd'hui possible?

Concrètement non, bien évidemment. Depuis une dizaine d’années, rien n’est possible. Les deux camps sont totalement radicalisés. La guerre à Gaza est un élément supplémentaire d’incompréhension, de drames humains et de contextes politiques très graves. Et le gouvernement israélien aujourd’hui va – sans jeu de mots – dans le mur, avec une politique qui me paraît également suicidaire pour Israël.

Et autoriser aujourd’hui les juifs à aller sur l’Esplanade des mosquées, c’est vraiment uniquement mettre de l’huile sur le feu et l’élément qui posera un problème fondamental. On est dans un symbole miniature de la crise globale de la paix et on va arriver à une tension comme jamais sur cet espace convoité, et qui donnera un gage supplémentaire à l’Institut du troisième temple. J’invite vos lecteurs et auditeurs à lire le livre de Charles Enderlin sur ce sujet et son documentaire qui va être diffusé. Ces personnes, qui sont une minorité au sein même d’Israël, prennent une importance progressive, et sont à mon avis extrêmement dangereuses pour la paix, mais également pour des négociations. En tout cas pour un apaisement des relations entre Israéliens et Palestiniens dans la vieille ville de Jérusalem et dans un contexte plus global régional.

Le président palestinien parle aujourd’hui d’un déclaration de guerre, quand il parle de la fermeture de l’accès à l’Esplanade des Mosquées. Jusqu’où cela peut-il aller ?

Ce sont des mots. Je ne suis pas convaincu de la réalité. On est toujours dans une inquiétude à l’égard d’une potentielle troisième Intifada. Elle n’a pas eu lieu au moment de la guerre à Gaza – et sans jeu de mots – Dieu sait si la situation était extrêmement tendue suite à l’offensive des Israéliens sur la Bande de Gaza. Je crois que ce n’est pas nouveau, ce système de fermeture et d’ouverture permanents de l’Esplanade des Mosquées. Ça renvoie véritablement à la question du contrôle de l’Esplanade et de la souveraineté palestinienne globale. Je dirais même si les Palestiniens ont un Etat, paraît-il, reconnu par les Nations unies et progressivement par un certain nombre d’Etats, comme la Suède ce matin. Je crois que se pose de manière permanente la question de la souveraineté des lieux saints et en particulier la question de la souveraineté de l’Esplanade des Mosquées pour laquelle les Jordaniens ont leur mot à dire et pour laquelle l’ensemble des musulmans ont un mot à dire.

Je crois que cette question va renvoyer au-delà de la Ligue arabe, à une problématique qui est très inquiétante et pour laquelle même justement un certain nombre de spécialistes tendent à pencher : c’est cette idée de progressive guerre des religions. Moi je la fuis, comme un certain nombre de chercheurs, en permanence. Mais on arrivera presque bientôt à faire croire qu’au-delà du politique c’est finalement ce religieux qui va gouverner et qui va être un élément de tension supplémentaire dans les négociations longues.

Je crois que ce qu’a dit Mahmoud Abbas est évidemment un avertissement. De manière concrète, je ne vois pas ce qui peut se passer. Maintenant évidemment, les Israéliens ont bien compris que la situation est extrêmement tendue. Et fermer l’Esplanade des Mosquées est un moyen de les apaiser. On se souvient de l’image en 2000 au moment de la seconde Intifada… On n’est pas à l’abri de revenir à nouveau sur une situation aussi tendue.

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→ Sébastien Boussois est l'auteur du livre Israël entre quatre murs, la politique sécuritaire dans l’impasse, aux éditions du Grip (septembre 2014).

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