«Les Kurdes de Syrie veulent garder le contrôle de Kobane»

L’arrivée de combattants peshmergas irakiens dans la ville de Kobane semble désormais imminente. Un premier groupe stationne à quelques dizaines de kilomètres de la ville syrienne. Attendus depuis des semaines, ces combattants viennent prêter main forte aux Kurdes qui se battent depuis plus d’un mois contre les jihadistes sans parvenir à les faire reculer. Olivier Grojean, maître de conférences en sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille, livre son analyse.

RFI : Est-ce que l’arrivée de ces combattants kurdes va faire la différence sur le terrain ?

Olivier Grojean : C’est vrai que les responsables du PYD, ce parti pro-kurde de Syrie qui contrôle Kobane, et la branche armée Yekîtiya (Unités de protection populaire), ont souligné l’importance de ce déploiement et de cette aide des peshmergas kurdes irakiens. Et en même temps, si l’on en croit les estimations qui font état de près de 2000 combattants kurdes à Kobane, cette aide de 150 soldats kurdes irakiens qui sont équipés plutôt d’armes légères - pour l’instant on a juste parlé de lance-roquettes - aura un impact militaire assez limité. D’autant plus que les Kurdes irakiens ont affirmé que ces peshmergas seraient surtout une force de soutien et ne devraient pas s’engager dans les combats. Par contre, effectivement, c’est une vraie brèche à la frontière turque qui était jusqu’à présent totalement fermée, et en ce sens-là, c’est au moins symboliquement très important.

Comment sont accueillis ces combattants irakiens par les Kurdes de Syrie ?

Ils ne sont pas encore arrivés et on ne sait pas quand ils arriveront et s’ils arriveront effectivement. Mais de fait, je crois que les Kurdes de Syrie se réjouissent de ce soutien qui permet aussi de les légitimer d’avantage sur la scène internationale. Par contre, je pense qu’ils souhaitent que ce soit une aide limitée afin de ne pas perdre le contrôle de la ville.

Vous l’avez dit, cela crée une brèche à la frontière turque et leur arrivée est rendue possible par le feu vert d’Ankara. Pourquoi la Turquie a finalement autorisé cette venue de ces combattants ?

La Turquie était sous pression depuis des semaines pour ouvrir sa frontière et venir en aide aux Kurdes de Kobane. Ce qu’elle refuse de faire, car elle affirme que le PYD est une organisation du PKK, c'est-à-dire une organisation kurde de Turquie qu’elle considère comme terrorisme, alors même qu’elle cherche à résoudre la question kurde sur son territoire.

En fait, il faut comprendre qu’un accord a été conclu la semaine dernière entre les Kurdes d’Irak et les Kurdes de Syrie, avec la bénédiction de la Turquie. Il y a une rivalité importante entre le PDK irakien de Massoud Barzani qui dirige actuellement le gouvernement kurde régional en Irak, et le PKK turc pour le contrôle des régions kurdes de Syrie. Et donc avec la déclaration d’autonomie des trois cantons kurdes sous l’égide du PYD, les organisations proches du PDK ont été assez marginalisées en Syrie. Et l’accord de Dohuk, conclu la semaine dernière, visait justement à les réintégrer dans le jeu politique kurde syrien.

Cet accord comporte trois articles. En fait, il mentionne qu’il y aura désormais une place pour les partis soutenus par le PDK irakien au sein d’une nouvelle assemblée consultative en Syrie, que ces partis acceptent désormais l’autonomie des régions kurdes et puis aussi qu’ils vont pouvoir assurer la défense du Kurdistan syrien. Et comme la Turquie cherche à briser l’hégémonie du PYD au Kurdistan de Syrie – on n’est pas complètement sûr –, elle a sans doute soutenu cet accord entre les Kurdes de Syrie et le Kurdes d’Irak.

Est-ce que la Syrie pourrait aller plus loin et venir en aide militairement aux forces kurdes ?

Non, je ne crois pas que ce soit possible. Ankara considère le PYD comme une organisation terroriste, donc elle ne va pas les soutenir. Et d’autre part, même les combattants qui sont à Kobane ne le souhaitent pas. Ils ont affirmé qu’ils vivraient ça comme une occupation. Ils craignent surtout que la Turquie ne crée une zone tampon dans les régions kurdes de Syrie pour briser cette autonomie qu’ils ont déclaré l’année dernière.

On apprend également que des combattants de l’Armée syrienne libre sont entrés à Kobane. Est-ce qu’on en sait un peu plus sur ces combattants et pourquoi ils sont là ?

A priori, il y a des combattants de l’Armée syrienne libre. Il y a aussi d’autres groupes kurdes non affiliés au PYD qui combattent d’ores et déjà aux côtés des Yekîtiya à Kobane. En même temps, ces derniers jours on a entendu Erdogan, le président turc, dire que plusieurs centaines, voire 1 300 combattants de l’Armée syrienne libre rejoindraient Kobane via la Turquie. Là pour le coup, pour l’instant, il n’y a aucun accord. Et je ne suis pas sûr que le PYD le souhaite vraiment. Il aurait plutôt tendance à vouloir que l’Armée syrienne libre ouvre de nouveaux fronts ailleurs et ne vienne pas forcément à Kobane parce qu’ils n’ont pas forcément besoin de ces gens-là. Et surtout – je vous parlais tout à l’heure des 2 000 combattants du PYD qui étaient à Kobane – s’il y a 1 300 combattants de l’Armée syrienne libre qui arrivent, le PYD perdra de son hégémonie sur la ville avec cette arrivée.

Comment a réagi l’Irak au départ de ces combattants partis combattre en Syrie ?

A Bagdad, en tout cas, le déploiement de combattants kurdes n’a pas vraiment trop provoqué de débat. Il y a eu effectivement quelques prises de bec au Parlement avec certains qui ont dit que ce déploiement était illégal et anticonstitutionnel. Mais d’autres, et notamment des chiites, ont souligné que ce déploiement faisait face à une même menace en Syrie et en Irak. Et pour le coup, le gouvernement irakien n’a pas vraiment réagi à ce déploiement, ce qui fait qu’il approuve au moins tacitement cet envoi de combattants. Dans les régions kurdes je pense que pour le coup ce soutien est très, très légitimité, à la fois dans la population et au Parlement.

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