Article mis à jour en fonction des derniers développements
Un corbillard et plusieurs ambulances venant de Kobane ont été autorisés à entrer en Turquie dans la matinée de vendredi. Ils charriaient les victimes des derniers bombardements en Syrie, qui se sont intensifiés depuis le début de la journée. Après une soirée intense jeudi, la nuit avait été plutôt calme, mais le front a été de nouveau secoué par des tirs d’obus dans la matinée du vendredi 3 octobre.
Notre envoyé spécial Jérôme Bastion, qui se trouve de l'autre côté de la frontière, en Turquie, à quelques kilomètres de Kobane, relate un véritable « duel d'artillerie ». Les bombardements ont d'abord repris à l'initiative des Kurdes, qui avaient entrepris de pilonner le premier village sur le front est, à deux ou trois kilomètres à peine. Il s'agit des positions jihadistes les plus proches, l'endroit duquel ils bombardent le centre-ville de Kobane depuis 48 heures environ.
Deux tanks jihadistes en renfort sur la plaine
La réponse des jihadistes n'a pas tardé. Des rafales de tirs ont été entendues et un obus a touché un dépôt de carburant, qui brûlait encore à la mi-journée en dégageant une épaisse fumée noire. Depuis, le rythme des déflagrations n'a fait que s'accélérer, et les panaches de fumée se sont multipliés sur le versant est de la ville.
L'arrivée postérieure de deux tanks, bien reconnaissables dans la plaine, laissait prévoir une intensification des échanges. Elle a finalement bel et bien eu lieu. A la mi-journée, on pouvait régulièrement voir les deux véhicules sortir du village le plus proche pour tirer sur le flanc est de la ville.
A partir de la mi-journée, des obus de très gros calibre, visiblement tirés du front sud cette fois, ont commencé à tomber sur le centre-ville. L'un d'eux a même atterri du côté turc du chemin de fer qui marque la frontière. Sans faire ni dégât, ni victime.
L'objectif de l'EI : rafler la cité aujourd'hui
Les combats sont suivis avec intérêt par la population, qui regarde à l'œil nu l'évolution de la situation, perchée sur des terrasses ou à même le sol.
Ces Kurdes, hommes, femmes et enfants confondus, qu'ils soient de Turquie ou de Syrie, constatent que les bombardements se multiplient, se rapprochent, et visent de plus en plus le centre-ville de Kobane. Ce qui les fait s'interroger : quand la communauté internationale va-t-elle enfin se décider à arrêter le massacre ?
L'espoir s'amenuise sur le champ de Kobane. Il y a deux mois, quand les combattants de l’organisation Etat islamique avaient lancé leur premier assaut sur la ville, ils avaient promis d'y célébrer la prière de la fête du Sacrifice, quand ils seraient sûrs de la prendre. Cette prière sera donnée le 4 octobre à 5 heures du matin. Mais il semble encore improbable que Kobane soit passée entre les mains des jihadistes d'ici là. Pour l'instant, les Kurdes défendent en effet leur ville, pied à pied.
Coalition élargie avec l'arrivée de la Turquie
En visite pour deux jours aux Etats-Unis, le ministre français de la Défense a émis des doutes quant au recul des jihadistes à court terme. « Ça prendra du temps parce que, d’abord, la coalition va se mettre en place et il faut aussi faire en sorte que l’armée irakienne et les armées kurdes soient remises en situation de pouvoir reprendre le territoire », a-t-il déclaré au micro de notre correspondante à Washington Anne-Marie Capomaccio.
Jean-Yves Le Drian salue la décision du Parlement turc, jeudi 2 octobre, d'envoyer des troupes en Irak. « Une bonne nouvelle », selon les mots du ministre français, mais qui ne prendra pas effet immédiatement, a précisé le ministre turc de la Défense Ismet Yilmaz.
Pour la coalition internationale, l’aspect important de cette décision adoptée jeudi réside dans l’autorisation donnée aux troupes étrangères de stationner en Turquie et d’utiliser ses bases. Mais il ne faut pas attendre des Turcs qu’ils s’engagent directement contre les troupes du groupe Etat islamique, explique Jérôme Bastion.
La suspicion des Kurdes à l'encontre des intentions turques
Selon notre envoyé spécial à la frontière, Ankara veut surtout instaurer une zone tampon en Syrie pour accueillir les réfugiés, protéger sa frontière, mais pas forcément pour combattre directement les jihadistes.
Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu l'assure pourtant : son pays fera « tout » ce qu'il peut pour empêcher la chute de Kobane. Mais les Kurdes de Syrie sont sceptiques. Khaled Issa est le représentant en France du PYD, la principale organisation kurde de Syrie. Il ne mâche pas ses mots, qui traduisent une animosité profonde et réciproque en Turcs et Kurdes. « Lorsque la coalition antiterroriste a été formée par les pays occidentaux et arabes, l'Etat turc ne s'y est pas joint, il a choisi le camp des terroristes, avec lesquels il a maintenu ses relations privilégiées », dénonce-t-il.
Et de suspecter : « Actuellement, sous la pression des pays occidentaux notamment, l'Etat turc fait un marchandage. Il attend que Kobane tombe pour pouvoir mettre la main sur la région kurde et y installer des réfugiés arabes syriens que la Turquie a accueillis. Son but (...), c'est de changer la démographie et l'identité nationale kurde de ces territoires. » Jeudi, le chef historique des Kurdes, Abdullah Ocalan s'est exprimé depuis sa prison en Turquie. Il pressurise Ankara, assurant que la chute de Kobane ferait échouer le processus de paix entamé depuis deux ans entre les Kurdes et le gouvernement turc.
Comment gagner sans lutter au sol ?
Pour l'heure, en Irak comme en Syrie, la coalition internationale limite essentiellement ses interventions à l'espace aérien. Sa présence au sol reste limitée à des équipes de quelques dizaines d'hommes tout au plus. A ce jour, une cinquantaine de pays a accepté de rejoindre l'alliance contre l'organisation Etat islamique. Mais en réalité, peu sont ceux qui participent effectivement aux frappes aériennes, et encore plus rares sont ceux qui ont accepté d'envoyer des troupes sur le terrain.
Au-delà des 1 600 hommes officiellement déployés en Irak par les Etats-Unis depuis l'été, le Canada affirme avoir mobilisé 69 membres de ses forces spéciales. L'Australie, qui a rejoint la coalition aussi et assure qu'elle frappera par les airs, a annoncé à son tour le déploiement de forces spéciales. 2 000 soldats australiens sont stationnés aux Emirats arabes unis. La France reconnait par ailleurs avoir envoyé en Irak quelques équipes chargées de recueillir du renseignement. Généralement, elles opèrent par petits groupes de cinq à dix personnes. Cette présence au sol est toutefois indispensable, afin d'obtenir des informations sur les déplacements des jihadistes, et pour guider les frappes avec précision. Un travail de longue haleine.
A noter que de son côté, l'Iran a vivement critiqué la décision de la Turquie de rejoindre la coalition. Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, l'autre grande puissance régionale met en garde contre une aggravation de la situation au Moyen-Orient.
■ La situation militaire en Irak
Cela fait bientôt deux semaines que les opérations françaises ont commencé en Irak. Deux semaines et seulement deux raids de bombardements menés par l'armée française. L'opération « Chammal » se poursuit, pendant que l'organisation Etat islamique s'organise.