RFI : Michel Goya, près d’une trentaine de pays se sont réunis pour cette conférence à Paris. Il y a eu des déclarations. Mais pour l’instant on n’en sait pas plus sur la stratégie militaire qui se prépare?
Michel Goya : On devine assez facilement la stratégie militaire, c'est-à-dire à partir du moment où les Américains ne vont pas engager des troupes au sol, personne d’autre ne le fera parmi les pays occidentaux. On se contentera d’une stratégie indirecte, une stratégie depuis les forces locales, les différentes armées locales, les Kurdes, l’armée irakienne, éventuellement des milices sunnites, -on le souhaite-, et cela prendra la forme de frappes aériennes, de raids, et d’un appui de conseils, et d’un appui matériel aux troupes au sol.
Et c’est dans cette perspective qu’il y a eu ce matin les premiers vols de la chasse française?
Bien sûr, il s’agit là de repérer la zone d’action, de repérer les cibles éventuelles. Les frappes aériennes, surtout si elles doivent venir, comme c’est infiniment probable de la part des forces françaises depuis la base d’Abu Dhabi, prendront du temps. Ce sont des objectifs qui sont forcément des objectifs fixes. Quand vous avez deux heures de vol, vous n’attaquez pas des objectifs extrêmement mobiles, mais plutôt des objectifs fixes, d’une certaine valeur tactique. On appelle cela du « targeting », il s’agit de repérage de cibles potentielles.
Alors comment se décide très concrètement sur le terrain, l’action des différentes forces? Il va y avoir certainement différentes chasses, les Américains, les Français, certainement les Britanniques sur le terrain. Qui décide quoi?
On décide en commun. Il va y avoir une organisation qui sera dominée logiquement par les Etats-Unis, parce que ce sont eux qui fournissent la grande majorité des moyens, et les forces alliées, les forces britanniques et françaises, pour l’essentiel, vont s’intégrer à ce dispositif. C’est un dispositif de coordination dont on a l’habitude. On a fait cela parfaitement en Libye en 2011, également dans d’autres théâtres d’opération comme le Kosovo. C’est quelque chose que l’on maîtrise parfaitement.
Justement, vous venez d’établir ces comparaisons avec d’autres terrains. Aujourd’hui ce qui se prépare sur le terrain irakien, rappelle quel champ d’intervention précisément?
Cela rappelle, d’une part, l’engagement en Afghanistan en 2001, lorsque la coalition, dominée très largement par les Etats-Unis, a fait alliance avec les gestionnaires de la guerre, d’avoir fourni un appui aérien, et des conseillers au sol pour chasser les talibans. Cela fait référence aussi à ce qui s’est passé en Libye où la coalition a appuyé les combattants au sol, les rebelles au régime de Kadhafi.
A l’issue de la conférence de Paris, dans la déclaration finale, il n’est pas fait mention du théâtre syrien. Comment combattre une force qui se trouve précisément à cheval sur deux territoires si on laisse l’un de ces territoires sans intervention?
C’est un peu plus compliqué en Syrie, le président Obama ne l’a pas exclu. Il est probable qu’il y ait également des actions en Syrie, qui sont tactiquement un peu plus compliquées parce qu’elles sont plus lointaines si on part du Golfe. Si c’est à partir de la Méditerranée, il faut traverser le ciel turc. Il faut traverser le ciel syrien, là aussi. C’est beaucoup plus délicat, c’est un peu plus difficile techniquement, je dirais. En réalité, la vraie force de l’Etat islamique se trouve en Irak, le vrai centre de gravité, pour employer un terme militaire. Ce qui fait la force de l’Etat islamique, c’est en réalité le soutien plus ou moins complice des sunnites dans les provinces irakiennes, c’est là qu’il faut porter l’effort.
Est-ce qu’on peut dire, jusqu’à présent, que les Britanniques, qui sont aussi une force très importante dans cette coalition qui se dessine, ont été clairs sur leurs intentions?
Il ne m’appartient pas de juger la stratégie de la politique des Britanniques en la matière. L’avantage du processus français, du point de vue institutionnel, c’est que l’exécutif en France, a une grande facilité pour engager la force, plus qu’aux Etats-Unis en réalité. Il y a tous ces décalages notamment au moment de l’affaire syrienne relative aux armes chimiques, lorsqu’il a été question éventuellement de frapper en Syrie. Pour la France, cela ne posait aucun problème, relativement pour décider et d’agir. Au Royaume-Uni, le Parlement britannique s’y est opposé. Ce qui n’est pas possible en France en fonction des institutions qui sont les nôtres.
Est-ce que l’institution militaire va communiquer régulièrement sur cette intervention ou à l’inverse elle va rester assez prudente parce qu’il y a quand même de nombreuses cibles qui ont vocation à rester secrètes?
Bien sûr, on ne va pas communiquer sur les cibles à l’avance. Techniquement, la difficulté de ce genre d’opérations aériennes, c’est qu’en face il est relativement facile de s’adapter tactiquement à des frappes aériennes. Il suffit de se fondre dans la population, d’utiliser des véhicules civils par exemple, d’être beaucoup plus mobiles. Ce genre de campagne n’est vraiment efficace que s’il est couplé, coordonné avec des vraies opérations terrestres. C’est véritablement là que se situe la difficulté. Des opérations aériennes seules n’amèneront rien de décisif. Elles ne seront décisives que si elles permettent d’agir avec des troupes au sol, qu’elles soient irakiennes, kurdes, sunnites, avec cet inconvénient, que chacune a ses difficultés, et que chacune a son agenda politique, souvent contradictoire avec les autres.
A signaler :
Michel Goya : « Irak : les armées du chaos ». Editions Economica