Comment qualifier la réaction des Etats du Golfe face à l’expansion de l’Etat islamique : stupeur, attentisme ou à l’inverse décision imminente ?
Fathia Dazi Heni : Non, ils sont plutôt réactifs aujourd’hui et ils ont bien l’intention de changer de priorités. Jusqu’à présent, c’est vrai que l’Iran était désigné comme l’ennemi principal, notamment en Arabie saoudite en raison de la progression de l’influence iranienne dans le monde arabe : en Irak, en Syrie, au Liban avec le Hezbollah et également au Yémen.
Il est clair que cette rivalité, cette sorte de guerre froide sous forme de sectarisme, est aujourd’hui reléguée derrière la menace quasi existentielle que fait peser l’Etat islamique au nord de la frontière saoudienne, à cheval entre la Syrie et l’Irak.
Il est évident que l’Arabie saoudite, berceau du salafisme et donc de ce radicalisme islamique, est menacée par cette idéologie et les actions extrêmement barbares de l’Etat islamique, et qui attirent un certain nombre de jeunes en Arabie saoudite. Donc il est très clair que l’Arabie saoudite - et c’est le sens de la réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG) hier, et aujourd’hui de la Ligue arabe - veut se mobiliser pour essayer de contrer l’avancée de l’Etat islamique.
Justement, au-delà des réunions, de ces rendez-vous diplomatiques, quelle forme peut prendre cette « réactivité » que vous évoquez?
On peut s’attendre à ce qu’un ou deux des membres du CCG, qui comprend toutes les monarchies de la péninsule arabique, soit intégré au sein de cette coalition dont a parlé le président Obama. Il me paraît assez peu probable que l’Arabie saoudite soit en première ligne. L’Arabie saoudite est l’une des clefs de voûte de la lutte contre l’Etat islamique, mais pas forcément en termes de soldats issus de l’armée ou de la garde nationale saoudienne. Beaucoup plus en termes idéologiques, c’est-à-dire que l’Arabie saoudite a des clefs, des savants religieux, ce qu’on appelle des chouyours, qui sont en mesure de contrer sur le plan idéologique cette barbarie.
Quand on voit justement les actes sur le terrain, les exécutions sommaires, les menaces, est-ce que l’idéologie, la religion peuvent encore contrer quelque chose ?
En tout cas, l’Arabie saoudite a clairement des atouts en la matière, puisque l’Etat islamique, comme al-Qaïda, se nourrissent de l’idéologie salafiste, sauf qu'ils sont passés un cran au-dessus. Al-Qaïda a la violence politique et l’Etat islamique a une barbarie inouïe et inédite.
Certains disent que ce sont justement certaines de ces monarchies du Golfe qui ont engendré ces monstres...
Ce n’est pas faux. Comme je le disais au début, l’Arabie saoudite est le berceau, l’épicentre de cette idéologie ultra dure sunnite. Et le passage entre le salafisme pur et le salafisme jihadiste est quand même assez ténu. En plus de cela, il y a des financements privés. C’est pourquoi les monarchies du Golfe sont absolument incontournables dans la lutte contre l’Etat islamique.
Est-ce qu’elles sont prêtes à mettre entre parenthèses leurs récents différends pour avancer ensemble contre l’Etat islamique ?
Absolument. Lorsque les Etats du CCG sont face à une menace, ils sont extrêmement efficaces pour mettre de côté les différends, se re-solidariser et renforcer la cohésion. C’est exactement le but de la réunion qui s’est tenue la semaine dernière où, dit-on, les pays qui ont rappelé leurs ambassadeurs de Doha, à savoir l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Emirats, seraient prêts à renvoyer leurs ambassadeurs à Doha. Effectivement, l’Arabie saoudite était notamment l’un des pays qui avait insisté sur le fait qu’il ne fallait pas exclure le Qatar. Le pays le plus remonté contre le Qatar, ce sont les Emirats arabes unis.
Lors de cette dernière réunion, fin août, les Etats du Golfe s’étaient prononcés pour empêcher le recrutement, le financement de jihadistes. Quels sont les moyens concrets ?
Il y a des décrets, des lois très dures aujourd’hui pour contrôler les financements, via les associations caritatives. Il y en a au Qatar, au Koweït, en Arabie saoudite. Il s’agit vraiment aujourd’hui de se protéger contre une éventuelle infiltration via des recrues issues de l’Etat islamique au sein de la péninsule arabique.