RFI : A Gaza, les habitants tentent de revenir à une vie normale. Mais l’accord reste toujours très flou…
Jean-Paul Chagnollaud : Il y a deux temps dans un accord de cessez-le-feu de cette nature. Le premier temps, c’est la trêve, c'est-à-dire que les hostilités s’arrêtent et le deuxième temps concerne la politique. Il y a évidemment des objectifs politiques. Cela signifie que les gens de Gaza peuvent revenir normalement, mais surtout vivre normalement. Le grand enjeu de cette affaire est donc la levée du blocus – il semble que cela soit en filigrane dans l’accord - et ensuite en allant plus loin, on parle même de la construction du port dont on parle depuis très longtemps, qui avait d’ailleurs été envisagée de manière très précise, très sérieuse à l’époque d’Oslo.
En contrepartie, il faudra réfléchir à comment démilitariser le Hamas, en tout cas le territoire, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, notamment en faisant rentrer l’autorité palestinienne. On est donc dans une phase I qui est la trêve, ce qui est déjà beaucoup évidemment par rapport aux souffrances que ces populations palestiniennes ont enduré. Maintenant il faut savoir si l’on va arriver à une phase II et qu’elle sera la densité et l’importance de celle-ci. Si on n’arrive pas à cette phase II, ça veut dire que finalement cette tragédie n’aura servi strictement à rien et que ces morts sont morts pour rien. C’est vraiment un enjeu majeur avec beaucoup d’autres implications sur le plan politique. La communauté internationale a été totalement absente ou elle a soutenu Israël au début. C’est quand même quelque chose de très problématique.
Benyamin Netanyahu est aujourd’hui affaibli politiquement. A-t-il dû faire des concessions pour arriver à cette trêve ?
Je ne sais pas si on peut parler de concessions parce que c’était la seule voie possible d’arriver à une trêve. C’est vrai qu’il est en but à des critiques de Naftali Bennett et de Avidgor Lieberman, qui sont des jusqu’au-boutistes quelque peu autistes. Ce sont des personnes qui veulent aller jusqu’au bout. Et si on avait lancé une offensive comme ils l’imaginent, ça aurait été un désastre absolu pour les Palestiniens, pour le Hamas, mais aussi pour Israël parce que c’est vraiment ne pas se rendre compte de la capacité de résistance non seulement du Hamas, mais je crois de la population palestinienne qui souffre beaucoup de ce blocus depuis 2006.
Donc, je crois que la vraie question aujourd’hui est de savoir si, une fois que l’on a dépassé ce moment très fort avec cette séquence meurtrière, on va arriver à parler politique. Netanyahu a fait preuve d’une certaine forme de courage malgré tout parce qu’il a su s’arrêter – il n’aurait peut-être pas dû y aller, car c’était une erreur à mon avis parce que finalement tout le monde est perdant dans cette affaire. Va-t-il avoir cette capacité de réenclencher des négociations dont il ne veut pas vraiment lui-même, et dont sa coalition ne veut pas ? La communauté internationale, comme par exemple Ban Ki-moon l’a évoqué il y a quelques jours, va-t-elle essayer de pousser vers cela ?
Nous sommes dans une phase où au fond on a deux chemins possibles : on a le chemin qui ne mène nulle part qui est la trêve pour la trêve, de la paix pour la paix au sens très sécuritaire du terme. Ou l'on a l’autre chemin qui consiste à enfin prendre les questions politiques à la racine et dire « il y a une vraie question qui est l’enfermement de Gaza » et il y a la question de l’occupation. Ce sont les grandes questions : est-ce qu’on va saisir cette séquence meurtrière pour aller au-delà de ces simples problèmes de trêve qui sont importants, mais dont on voit bien leur limite.
Pour Netanyahu, je crois qu’aujourd’hui, s’il en restait là ce serait un échec. L’idée qu’on peut résoudre un problème politique, surtout de cette ampleur, simplement de manière militaire est une absurdité stratégique. On le voit concrètement aujourd’hui. En plus, ça a évidemment renforcé le Hamas.
Il ne faut pas oublier la chronologie malgré les événements qui s’enchaînent les uns aux autres très vite. Début juin, il y avait un gouvernement d’union nationale qui était soutenu par le Fatah et par le Hamas (mouvement d’union national palestinien), avec Abbas comme patron de tout cela. A l’époque, les Etats-Unis l’avaient reconnu, les Européens aussi, mais pas Netanyahu. On se retrouve aujourd’hui dans cette même situation. Netanyahu a effectivement négocié avec le Hamas - et pas simplement sur des questions de trêve, mais on va aller comme on l’évoquait tout à l’heure sur des questions plus profondes, du moins on peut l’espérer –, mais on revient à une négociation qui aurait pu se faire en évitant cette séquence meurtrière. Si on se contente d’une trêve, il faut s’attendre dans six mois ou dans deux ans à ce qu’une aventure militaire pareille se reproduise encore avec les souffrances que cela engendre.
RFI : La fin de l’occupation israélienne n’est pas pour tout de suite. Quid du processus de paix aujourd’hui dans ce contexte ?
Je crois qu’il est peu probable que beaucoup de Palestiniens de Cisjordanie et d’ailleurs, se disent que la violence sert à quelque chose. L’échec de ces négociations qui ont duré des mois pour s’arrêter le 29 avril dernier est absurde. Donc là encore on a la même question : va-t-on avoir l’intelligence politique et le courage politique de revenir à ces négociations sinon cela veut dire qu’il y aura à nouveau des violences. Même si aujourd’hui la jeunesse palestinienne est assez désespérée parce qu’elle n’a plus d’horizon politique, il y aura forcément des sursauts de violence qui vont apparaître si on reste sur un statu quo. Il est insupportable à Gaza – on n’en parle pas beaucoup en ce moment –, mais il est tout aussi insupportable en Cisjordanie.
Il faut bien comprendre qu’il y a quatre millions et demi de personnes qui sont soit sous occupation, soit enfermées. Donc je pense que c’est une situation qu’au fond on revoit à l’occasion de ces séquences meurtrières. Je pense que la communauté internationale a une responsabilité écrasante et je n’ai toujours pas compris pourquoi le Conseil de sécurité n’a pris aucune initiative forte par rapport à cette séquence meurtrière.
Vous parliez tout à l’heure de Mahmoud Abbas. Le retour de l’autorité palestinienne est-il à Gaza un enjeu fort ?
Je pense que c’est un enjeu fort, mais qui nous renvoie au gouvernement. Il y a un gouvernement d’union nationale. Le Hamas avait donné son accord dans une situation dans laquelle il était finalement assez faible. Maintenant qu’il est plus fort, son attitude sera-t-elle la même. Je n’en sais rien. En tout cas, il y a un gouvernement d’union nationale, donc c’est avec ce gouvernement qui s’occupe aussi bien de la Cisjordanie que de Gaza qu’il faudrait discuter et cela implique évidemment qu’ils se retrouvent aussi à Gaza, bien entendu.