Frappes sur Gaza: «L'objectif est politique, disjoindre le Fatah du Hamas»

Yves Aubin de La Messuzière, ancien ambassadeur de France en poste en Jordanie, au Yémen, en Syrie et en Egypte, suit de très près la situation au Proche-Orient et le conflit israélo-palestinien. Il avait également été mandaté par le Quai d’Orsay entre 2008 et 2009 pour une mission auprès du Hamas. Il est l'invité de RFI ce samedi 26 juillet.

RFI : On s’interroge aujourd’hui sur l’impuissance générale à régler ce conflit. Une nouvelle réunion débute ce samedi à Paris entre le chef de la diplomatie américaine et les Européens. Est-ce que l’on peut espérer qu’il en ressorte quelque chose ?

Yves Aubin de La Messuzière : Oui, il faut l’espérer. C’est une bonne initiative, le fait que les différents acteurs régionaux et internationaux se réunissent puisqu’il y aura la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie qui assurent la présidence européenne, les deux acteurs régionaux que sont l’Egypte et le Qatar. Et le Qatar ayant, dit-on, une certaine influence, mais à mon avis limitée, sur le Hamas.

Mais ceci dit, je suis assez sceptique parce que d’autres initiatives ont été prises, qui ont échoué. Et ce conflit, c'est-à-dire je crois le troisième au cours de la décennie, qui s’est déclenché entre Israël et le Hamas à Gaza, il était évident que si on peut parler de diplomatie préventive, que cette situation allait donc se développer. Alors même qu’il n’y a aucune perspective concernant la résolution dans son ensemble du conflit israélo-palestinien, en raison même de l’échec de la médiation menée par Kerry, alors même qu’on savait – et chacun des négociateurs le savaient – c’était de la négociation pour la négociation, sans perspectives véritablement d’aboutir.

Et si on fait une analyse politique au-delà des objectifs militaires de Tsahal que l’on connaît, c'est-à-dire s’en prendre aux tunnels et arrêter les tirs du Hamas contre des populations civiles en Israël, l’objectif est politique. C'est-à-dire, disjoindre le Fatah du Hamas, alors qu’il y avait une réconciliation récemment, et donc avec la formation d’un gouvernement de consensus salué par l’Union européenne et plus particulièrement par la France et y compris d’ailleurs les Etats-Unis. Ce qui peut apparaître plus surprenant. Mais bien évidemment, cela a créé l’irritation d’Israël.

Et on peut dire qu’au moins sur l’objectif politique plus que militaire, Israël et Netanyahu l’atteignent parce que la relation va être beaucoup plus difficile avec l’autorité palestinienne qui à juste titre a dénoncé les tirs de roquettes contre les populations civiles. Mais maintenant, il vient de changer de ton, on se trouve de nouveau devant une tragédie humaine. Et à mon avis on va régler le problème. Il y aura très probablement une trêve, un cessez-le-feu, avec quelques garanties, mais qui ne seront pas comme souvent appliquées, mises en œuvre. Et puis on risque de se trouver devant un nouveau cycle de violences.

Des garanties à court terme, ça veut dire que finalement à long terme rien ne va déboucher pour le moment ?

La Communauté internationale n’a pas été véritablement responsable, elle aurait dû se pencher sur ce dossier puisque le blocus de Gaza dure depuis 2006-2007, et cette population est enfermée et effectivement se trouve dans une situation de blocus total avec toutes les conséquences, à un moment  une certaine ouverture du côté de l’Egypte à l’époque avec la prise du pouvoir par les Frères musulmans, maintenant avec le régime de Sissi de nouveau une fermeture. Donc aucune perspective de levée au moins partielle du blocus.

Alors probablement qu’il y aura pour la consolidation du cessez-le-feu quelques garanties. Mais seront-elles appliquées concernant ce blocus totalement inhumain ? Ce qui fait que la population de Gaza se rapproche des plus radicaux. Et le Hamas n’apparaît pas aussi radical que le jihad islamique. Il y a aussi d’autres formations plus ou moins al-qaïdistes. Alors qu’on avait vu que le Hamas – que je connais assez bien – a évolué dans la mesure où il reconnaît maintenant implicitement Israël dans les frontières de 1967. Il n’est plus du tout, contrairement à ce que dit une certaine propagande, dans la perspective de la destruction de l’Etat d’Israël.

Alors pourquoi aujourd’hui les contacts ne sont-ils pas plus poussés avec l’organisation ?

C’est une erreur. Il y a une décision européenne posant des conditions concernant l’arrêt de la violence, pour avoir un dialogue avec le Hamas – l’arrêt de la violence – et la reconnaissance de l’Etat d’Israël et puis la reconnaissance aussi des accords d’Oslo. Mais vous savez, il y a des responsables qui sont modérés à l’intérieur du Hamas qui est un mouvement assez divisé d’ailleurs il faut le reconnaître, et puis il y a une aile qui est véritablement radicale et qui mène parfois des actions qu’on peut qualifier à caractère terroriste.

Donc il faut consolider la position de ceux qui sont pour une perspective, et dans la mesure où ils se sont rapprochés du Fatah et de l’Autorité palestinienne, ils gardent totalement la main concernant les négociations. Ça veut dire qu’ils reconnaissent finalement – et d’autant plus qu’ils ont une perspective de rentrer dans l’OLP – implicitement l’Etat d’Israël. Il faut savoir que les différentes composantes au sein de l’OLP ne reconnaissent pas l’Etat d’Israël. Le Fatah ne reconnaît pas l’Etat d’Israël, mais le reconnaît à travers évidemment sa participation à l’OLP. Alors voilà, tout ceci aurait dû être consolidé.

Et pourquoi cela n’a pas été fait ?

C’est parce que malheureusement, je crois que la Communauté internationale – et je pense notamment à l’Europe – considère que ce conflit avec Gaza et avec le Hamas, est d’un caractère disons marginal et secondaire. On le règle comme un conflit de basse intensité. Il y a des bombardements, certes, il y a des pertes civiles, et on trouvera des arrangements qui permettront de calmer la situation pendant quelque temps. Mais sans imaginer une perspective pour le plus long terme.

Sauf à imaginer que Gaza pourrait devenir autonome, ce qui serait une catastrophe aussi, et c’est quelque part ce que souhaite Netanyahu, le dossier israélo-palestinien doit être pris dans son ensemble. La preuve, c’était attendu, il y avait longtemps que je l’annonçais, il y a maintenant des heurts extrêmement graves qui se déroulent en Cisjordanie.

On peut parler d’éléments d’une troisième intifada d’un nouveau type qui est dirigée à la fois contre Israël et aussi l’autorité palestinienne. Et Mahmoud Abbas qui devait être un bon interlocuteur pour Israël, est affaibli parce qu’on a vu que la cote de popularité du Hamas, surtout en Cisjordanie, a augmenté dans la mesure où il a apporté sa capacité de résister à l’offensive israélienne, puisqu'Israël avait eu des pertes considérables par rapport à 2008-2009.

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