RFI : les funérailles de l’adolescent palestinien qui avait été enlevé mardi soir et assassiné dans un quartier de Jérusalem-Est ont lieu ce vendredi après-midi et il y règne une grande tension sur place. Il y a beaucoup d’inquiétudes pour ce qui pourrait se passer dans les prochaines heures à Jérusalem-Est.
Jean-Paul Chagnollaud : Oui. Nous sommes dans une situation d’émotion et aussi de frustration du côté palestinien après ce qui s’est passé avec ce jeune Palestinien qui a été assassiné. Les premières réactions du gouvernement israélien, lorsqu’il y a eu les trois jeunes Israéliens tués, ont été très vite politisées puisqu’ils ont parlé même d’accentuer encore la colonisation à la mémoire de ces jeunes. C’est une situation qui, très vite, est dans une incandescence extrêmement difficile à maîtriser. En plus, aujourd’hui, c’est vendredi. A Jérusalem-Est et particulièrement dans la vieille ville, il y a évidemment de très fortes tensions. Ces événements très douloureux, très dramatiques, révèlent au-delà la profondeur de la crise et la lourdeur du climat politique aujourd’hui à Jérusalem et dans les territoires palestiniens occupés, parce qu’il faut toujours rappeler que nous sommes dans le cas d’une occupation militaire de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie.
Une grande tension donc sur cette esplanade des Mosquées. Est-ce que justement, ce vendredi soir, on pourra prendre la température pour savoir si on va vers une forme de désescalade ?
D’un point de vue des principaux décideurs politiques, qu'ils soient Israéliens ou Palestiniens, sous réserve de ceux qui poussent toujours à une fuite en avant, ils n’ont pas intérêt à ce qu’il y ait des affrontements. Les Palestiniens n’ont pas intérêt, le Hamas pas davantage et le gouvernement israélien non plus. Si c’était au niveau des décideurs politiques, peut-être qu’ils chercheraient la désescalade. Mais ce n’est pas uniquement à ce niveau-là que ça se situe. Ça se situe au niveau des populations. Et je le répète, la population palestinienne est vraiment enfermée, il faut bien comprendre et ce mot est faible quand je dis « enfermée ». Ceux qui ressentent le plus cet enfermement, c’est évidemment les jeunes qui à 18 ans, 20 ans, découvrent dans quelle situation ils sont par rapport aux jeunes Israéliens ou aux jeunes du monde entier. Des affaires comme celle-là ne peuvent qu'aboutir à des crispations très fortes qui ne peuvent pas ne pas déboucher sur des manifestations avec tout ce que ça implique ensuite comme on l’a vu ces derniers jours, une manifestation, une répression et ensuite l’escalade. Il y a ces deux niveaux-là : le niveau politique et le niveau des opinions des hommes et des femmes qui sont au quotidien dans la souffrance. Je crois que c’est cela. Et donc à partir de là, on ne peut rien prévoir si ce n’est justement que ce sera extrêmement difficile de maîtriser dans les prochains jours ce qui se passe aujourd’hui.
Comme souvent dans la région au moment de crises, des discussions sont en cours peut-être. Là, c’est l’Egypte qui dit avoir engagé une médiation pour mettre fin à ces tensions entre Israël et le Hamas. Est-ce que c’est crédible ?
Je ne sais pas si c’est crédible. Par contre, je suis convaincu que ça ne va pas aller très loin puisque la question n’est pas là. La question, elle est beaucoup plus fondamentale : c’est que le 29 avril dernier, on a constaté l’échec une fois encore des négociations. Par conséquent, il n’y a plus de perspective politique à ce jour, et en tout cas dans les temps qui viennent, et les gens le ressentent profondément. Ça veut dire quoi : ça veut dire qu’il n’y a plus de possibilité d’espérer avoir une liberté sur tous les plans pour les Palestiniens. Ils sont sous occupation et, par conséquent, tant que cette situation va demeurer, et elle va demeurer malheureusement, je ne vois pas pour l’instant une initiative politique forte, bien au contraire. Ça signifie forcément des violences qui vont surgir de manière complètement aléatoire, inopinée et qui vont forcément drainer de la violence. On ne peut pas enfermer une population, on ne peut pas maintenir une occupation comme ça sans qu’il y ait des réactions. Donc, c’est ça la question. La vraie question, on le dit depuis des années, c’est évidemment qu’on en finisse avec l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, parce que Jérusalem-Est est une ville palestinienne. Donc, Jérusalem doit être à la fois israélienne du côté ouest et palestinien du côté est. Et ça, ce gouvernement n’en veut pas. Evidemment, ça contribue à écraser les uns et les autres dans leurs souffrances. Et ce n’est évidemment pas acceptable, ni supportable surtout. D’où toutes ces réactions et on en verra sûrement d’autres dans les temps qui viennent.
Dans la rue donc, la jeunesse palestinienne s’exprime dans la partie orientale de Jérusalem. Et puis d’un autre côté, le camp de la paix côté israélien ne prend pas. Il y a eu des rassemblements jeudi à Jérusalem et à Tel Aviv, mais avec très peu de monde.
D’abord, il y a eu, et il faut bien le souligner, une très forte émotion dans l’opinion publique israélienne à la suite de ces trois jeunes Israéliens qui ont été assassinés. Cette émotion, elle est forte, elle est tout à fait compréhensible. A partir de là, il n’y a pas de possibilité d’évoquer un quelque discours de la paix quand il se passe ça. Il y a une forte unité nationale qui se produit, ce qui est tout à fait logique et c'est classique en Israël. Puis ensuite, le camp de la paix, qui déjà était très faible, ne peut évidemment pas s’exprimer dans ces conditions, et même quelques jours après, comme c’est le cas maintenant, il reste tout à fait minoritaire. C’est aussi un des grands éléments de l’équation qui fait qu’on ne peut pas déboucher sur une perspective politique.
Ces derniers jours, on ressent véritablement des sentiments de haine mutuelle, si bien que le président Shimon Peres est lui-même sorti de sa réserve pour dire qu’il fallait stopper cette incitation à la haine, en particulier sur les réseaux sociaux.
Ce sont des discours tout ça, parce que Peres a été en responsabilité il y a bien des années. Il est président maintenant et il va quitter son mandat dans quelques jours, mais il a été chef du gouvernement. Il n’a rien fait de fondamental pour essayer de trouver une solution politique, sauf au tout début du processus de paix, bien entendu. Il est un peu un pompier pyromane dans cette affaire, parce qu’en réalité les gouvernements successifs, et surtout depuis quelques années, n’ont rien fait pour chercher vraiment une base de solution politique, qui ne peut passer que par la fin de l’occupation et la création d’un Etat palestinien. On le sait, on le répète. Malheureusement, les conditions politiques aujourd’hui ne sont absolument pas réunies pour que ça puisse se faire.
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