Egypte: al-Sissi, bientôt légitime?

Pour ses partisans, il est le « sauveur » de l’Egypte, le « héros » qui a débarrassé le pays des Frères musulmans. Pour ses détracteurs, c’est un putschiste, artisan d’une répression implacable contre les pro-Morsi. Les Egyptiens votent encore, ce mardi 27 mai, au deuxième jour du scrutin présidentiel et l’ex-militaire est sur le point de devenir le nouveau chef de l'Etat.

Abdel Fattah al-Sissi est né il y a 59 ans dans une famille de commerçants du Caire, non loin du quartier historique du Khan el-Khalili. Diplômé de l’Académie militaire, l’homme a fait toute sa carrière dans l’armée, passant notamment par le poste d’attaché militaire égyptien en Arabie saoudite puis devenant chef des renseignements militaires. S’il est élu, Abdel Fattah al-Sissi sera le 5ème président égyptien issu de l’armée mais il est d’une génération qui n’a fait aucune des guerres israélo-arabes. Ce parcours militaire pèse énormément dans la popularité d’Abdel Fattah al-Sissi que les Egyptiens appellent parfois « Mouchir » c'est-à-dire « Maréchal », le grade suprême qu’il a obtenu juste avant de quitter l’uniforme en mars dernier.

En cette fin mai, lorsqu’on demande aux électeurs égyptiens pourquoi ils ont choisi de voter al-Sissi, la plupart citent sa carrière militaire comme l’un de ses principaux atouts. « Je suis sûr que c’est l’homme qu’il faut dans le moment présent, un homme qui a beaucoup de charisme », assure Seyed el-Borei, ancien gouverneur de la région d’Assiout. « Il a fait un excellent travail à la tête de l’armée, aujourd’hui c’est lui qui a les clés de la voiture », note Amr el-Meky, cadre du parti salafiste al-Nour qui soutient la candidature d’Abdel Fattah al-Sissi.

Moubarak, Morsi, Sissi

Après la chute d’Hosni Moubarak en 2011, Abdel Fattah al-Sissi fait partie du conseil militaire qui prend les rênes du pouvoir en Egypte. En 2012, lorsque le président islamiste Mohamed Morsi est élu, ce dernier nomme Abdel Fattah al-Sissi, ministre de la Défense. On parle alors d’un officier très pieu qui serait proche des Frères musulmans. Mais lorsque la rue et les militaires font chuter Morsi l’année suivante, alors le général al-Sissi s’impose comme l’acteur-clé de ce basculement. C’est ainsi qu’il sort de l’ombre, même s’il garde sa part de mystère : « Il est très secret, il a montré une extraordinaire capacité à calculer ses coups », analyse le politologue egyptien Tewfiq Aclimandos, qui voit en al-Sissi « un conservateur mais d’un conservatisme qui correspond à celui d’une grande partie de l’opinion égyptienne ». Abdel Fattah al-Sissi est-il l’artisan d’un retour à l’époque qui prévalait avant la révolution de 2011 ? « C’est un conservateur qui sait qu’il y a eu une révolution, nuance Tewfiq Aclimandos, il a un projet contre-révolutionnaire mais qui n’est pas une restauration ».

Rabaa al-Adawiya

L’Egypte s’apprête à élire Abdel Fattah al-Sissi mais il s’est fait des ennemis. A commencer par les Frères musulmans, contre lesquels il a choisi la manière forte après la chute de Mohamed Morsi en juin-juillet 2013. La confrérie est aujourd’hui considérée comme une organisation terroriste et ses membres ne pardonnent pas à Abdel Fattah al-Sissi l’assaut du sit-in des pro-Morsi de Rabaa al-Adawiya, en août 2013, qui aurait coûté la vie à quelque 700 partisans du président islamiste destitué. « Sissi est un putschiste, l’auteur d’un coup d’état militaire sanglant », assène un Frère musulman rencontré au Caire ces derniers jours. Cet épisode suscite aussi l’indignation des jeunes révolutionnaires : « C’est un des plus grands massacres de l’histoire moderne de l’Egypte », souligne Hisham Ezzat qui a manifesté en 2011 contre Moubarak et en 2013 contre Morsi. « Sissi l’admet, il en tire fierté et il fait campagne en se présentant comme l’annihilateur des Frères », ajoute le jeune homme. Révolutionnaires, militants progressistes et défenseurs des droits de l’homme n’ont pas oublié un autre épisode attribué à Abdel Fattah al-Sissi : celui des pseudos « tests de virginité » imposés par des militaires à de jeunes activistes présentes sur la place Tahrir après la chute d’Hosni Moubarak en mars 2011.

Durant sa campagne, le candidat al-Sissi a déclaré que « parler des libertés » ne devait pas primer sur la « sécurité nationale » et il a estimé que l'Egypte ne serait pas prête pour la « vraie démocratie avant 20 à 25 ans ».

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