Avec notre correspondante à Jérusalem,
Le long de la route qui longe le village d’Ara, dans le nord d’Israël, une maison coquette entourée d’un jardin. Sur les grilles, une banderole avec le visage d’un homme aux cheveux gris et cette inscription : « Karim Younis, leader des prisonniers palestiniens ».
La maison est celle de Soubeiya Younis, la mère du plus ancien détenu arabe d’Israël. A 77 ans, c’est une vieille femme aux traits fatigués. Elle attend son fils emprisonné depuis 31 ans. Il devait faire partie de la dernière vague de libération de détenus le 29 mars dernier, mais Israël a tout annulé. Déception immense pour la mère de Karim Younis qui se dit « déprimée ».
Karim Younis a 56 ans aujourd’hui. Il a été condamné en 1983 par une Cour militaire israélienne à la prison à vie pour le meurtre d’un soldat israélien. Il était à l’époque étudiant et militant du Fatah, l'organisation politique et militaire palestinienne fondée par Yasser Arafat au Koweït en 1959. Karim Younis est pourtant citoyen israélien.
Palestiniens de 48
Il fait partie de ces Arabes israéliens, également appelés Palestiniens de 48, qui sont restés sur leurs terres après la création de l’Etat d’Israël, et qui ont pris la nationalité israélienne. « On nous a forcé, explique Nadim, l’un des frères de Karim Younis, mais nous nous sentons Palestiniens, pas Israéliens. »
La famille Younis a toujours été militante de la cause palestinienne. Plusieurs de ses membres ont été emprisonnés et aujourd’hui, Karim fait la fierté de sa mère. Elle admet qu’il est difficile de le voir seulement deux fois par mois, en prison.
« Il a sacrifié sa vie pour la cause palestinienne et on est derrière lui. L’occupation israélienne est plus difficile que l’attente », renchérit son frère Nadim, persuadé que Karim jouera un rôle politique à sa sortie de prison.
Dans un album photo, figure un portrait de lui aux côtés de Marwan Barghouti, la figure influente du Fatah emprisonné depuis 12 ans. Les deux hommes sont ensemble à la prison d’Hadarim, dans le centre d’Israël.
Résistants pour les Palestiniens, terroristes pour les Israéliens
« Karim Younis est devenu un symbole », explique Mourad Jadallah, de l’Association de défense des prisonniers palestiniens Addameer. « Il est le plus ancien détenu, il a fait plusieurs grèves de la faim ». En 2013, il avait écrit une lettre au président de l’Autorité palestinienne pour lui demander de ne pas accepter les conditions imposées par Israël pour la libération de prisonniers.
Pour sa famille, Karim Younis est avant tout Palestinien. Mais pour les Israéliens, c’est une autre histoire. Le fait que 14 Arabes israéliens figurent sur la dernière liste de prisonniers à libérer, a provoqué un tollé au sein de la droite dure israélienne.
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Tollé également chez l’association de victimes du terrorisme Al-magor. Son président
Meir Indor estime que « libérer des meurtriers qui ont des passeports israéliens serait franchir un pas supplémentaire dans l’horreur. Car ils vivent à côté d’autres Israéliens, et c’est quelque chose que n’importe qui de normal ne peut accepter. »
Pour Mourad Jadallah, qui défend les prisonniers palestiniens, il faut au contraire libérer les détenus. « C’est la première chose qui aurait du être faite après les accords de paix d’Oslo en 1993, expliquant que sur 5 000 prisonniers, 500 peuvent être considérés comme des prisonniers de guerre. On ne peut pas faire la paix et assurer la sécurité d’Israël tant que les prisonniers ne seront pas libérés. »
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