L’atmosphère est particulièrement tendue depuis le début du mois. Ce que reprochent le Bahreïn, l’Arabie Saoudite et les Emirats à Doha c’est son soutien inconditionnel aux Frères musulmans. Le Qatar héberge les dirigeants des Frères musulmans en exil. Ce soutien du Qatar au Frères musulmans est considéré comme une politique déstabilisatrice pour les trois monarchies, quand bien même l’establishment religieux y est wahhabite, comme en Arabie Saoudite.
Une volonté d'indépendance du Qatar
Pour les dirigeants qatariens, c’est une manière d’échapper à l’orbite du puissant voisin saoudien et de mener une politique étrangère indépendante. Durant les révoltes arabes en 2011, cela a même été pour eux une manière de tirer leur épingle du jeu en soutenant ce qu’ils pensaient être à l’époque le bon cheval, comme le gouvernement Morsi en Egypte. L’important pour eux est d’exister sur la scène internationale. Or, l’Arabie Saoudite a déclaré les Frères musulmans « organisation terroriste » et exigé du Qatar un changement radical de politique, voire la fermeture de la chaîne al-Jazira qu’ils considèrent comme leur porte voix. Avec les Emirats Arabes Unis, ils soutiennent le régime militaire qui a renversé les Frères musulmans en Egypte à coup de milliards de dollars. C’est une situation compliquée, car de nombreux pays arabes dont le Koweit, comptent une frange importante de Frères musulmans qui ont pignon sur rue et sont politiquement tout à fait intégrés.
Les Emirats Arabes Unis en guerre contre les Frères musulmans
Le rôle des Frères dans le Printemps arabe a effrayé les monarchies du Golfe, pourtant épargnées par les révoltes. Le seul pays du Golfe a avoir été touché a été Bahreïn, et il l’a été par sa population chiite, pas par les Frères musulmans. Mais les Emirats qui comptent plus de 80% d’étrangers avec des religions différentes mènent une guerre idéologique sans précédent contre les Frères. Ils emprisonnent depuis deux ans tous ceux qui ont des liens financiers ou organiques avec cette association, voire ceux qui critiquent ouvertement ce choix. Ils reprochent au Qatar d’héberger le prédicateur Youssef al-Qaradawi, l’éminence grise des Frères musulmans, qui ne cesse de critiquer leur politique sur al-Jazira. Du côté saoudien, il y a surtout une guerre d’influence. L’Arabie Saoudite est sur la défensive en interne. Les Saoudiens soutiennent une vision salafiste de l’islam, très conservatrice mais qui n’a pas d’ambition politique, contrairement aux Frères musulmans. Ensuite, avec le retour progressif de l’Iran sur la scène internationale - leur grand rival dans la région - leur influence est en perte de vitesse. Ce retour de l’Iran n’est pas bon signe pour eux : cela menace leur économie pétrolière. Ils paniquent. Alors comme le nouvel émir du Qatar ne change pas de politique comme ils l’avaient espéré, ils tentent de l’intimider et de l’isoler.
Réconciliation ou escalade
Il ne devrait pas y avoir d’avancée particulière sur les sujets de la Syrie ou de la Palestine. L'Arabie Saoudite a accusé mardi la communauté internationale d'avoir « trahi » la rébellion syrienne, en manque d'armes dans sa guerre contre le régime du président Bachar el-Assad. Et l'opposition syrienne a réclamé le siège de la Syrie à la Ligue arabe ainsi que les ambassades syriennes dans les pays arabes.
Quant aux relations entre pays du Golfe, le conflit ne devrait pas se résorber aujourd’hui. Les Saoudiens en ont assez de voir le Qatar faire cavalier seul. Mais on voit mal les Qatariens changer de politique et se soumettre. D’ailleurs avec leurs ressources gazières, ils sont économiquement autonomes, ils disposent d’alliés occidentaux et pourraient même, en cas d’isolement total, se tourner vers l’Iran si ce dernier redevenait respectable. Quant au scénario de l’escalade, c’est possible. Il pourrait y avoir de nouvelles sanctions. L’Arabie Saoudite a menacé de fermer ses frontières et son espace aérien, ce qui serait un coup dur porté à Qatar Airways le fleuron de l’économie qatarienne. On peut même imaginer à terme l’éviction du Qatar du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Tous les espoirs de réconciliation reposent donc sur la médiation du Koweït, dont l’émir est très respecté au Qatar et qui est de la même génération que les vieux leaders saoudiens.