RFI : Est-ce que vous espériez mieux ou est-ce que, finalement, vous vous attendiez à ce climat ?
Hala Kodmani : C’est encore très tôt ! Hier, c’était la grande ouverture diplomatique de la conférence. La véritable discussion commence vendredi, demain, à Genève même, entre les deux délégations : celle du régime et celle de l’opposition, par l’intermédiaire du représentant de l’ONU, Lakhdar Brahimi.
Pensez-vous qu’il ne faut pas considérer que le climat de mercredi obère la possibilité d’une évolution entre les deux parties ?
On ne s’attendait certainement pas à ce que ce soit cordial ou facile. C’est déjà miraculeux que cette conférence ait pu se tenir. Et si elle a pu se tenir, c’est grâce, un petit peu, aux parrains des deux parties syriennes, qui ont fait pression. Et c’est donc la communauté internationale, essentiellement les Etats-Unis, la Russie et les autres, qui ont fait pression pour que les Syriens n’aient pas d'autre choix que d’être autour de cette table.
Considérez-vous qu’exclure l’Iran de la conférence à la dernière minute était une bonne décision ?
C’est la « dernière minute » qui est un peu étrange. Il aurait peut-être fallu parler de l’Iran avant, et négocier avec l’Iran. Ou voir les conditions de sa présence, de sa participation, avant ce qui a été fait comme un gros couac diplomatique : 48 heures avant la conférence, inviter l’Iran qui n’adhère pas au principe de la première conférence de Genève I, c'est-à-dire sur l’objet même de cette conférence de Genève.
Est-ce que la crise syrienne peut être résolue en laissant l’Iran à l’écart ?
Je crois que non. Il est indispensable d’associer l’Iran à tout règlement – je vais vite en disant « règlement », parce qu’il ne faut pas non plus espérer qu’il en sortira nécessairement un règlement. Pour que la moindre initiative ait la chance d’aboutir, il faut que l’Iran soit partie prenante. Parce que la présence et l’influence iraniennes sont sur le terrain syrien. Aujourd’hui, la Syrie est déjà un vassal de l’Iran. C’est Téhéran qui tient les finances du pays, son armée, et qui a des milliers d’hommes venus pour combattre auprès du régime. Donc, l’Iran est incontournable.
On peut élargir la question en se demandant, au fond, si les acteurs syriens du conflit peuvent eux-mêmes sortir de la crise, ou si la solution est à l’extérieur, avec des grands parrains tels que la Russie, l’Iran ou les Etats-Unis. Qui a la clé aujourd’hui ?
Je crains que les Syriens aient perdu leur souveraineté, et pour longtemps. Des deux côtés d’ailleurs. Je parle aussi bien du régime que de l’opposition. L’aggravation du drame syrien a abouti à cela. Et aujourd’hui, le régime syrien ne peut pas agir sans l’Iran et la Russie. Comme l’opposition ne peut pas agir sans ses soutiens des pays du Golfe et des Occidentaux.
Est-ce devenu - ou peut-être l’était-ce dès le début -, un conflit entre chiites et sunnites ?
Ça, c’est une grille de lecture que les gens aiment beaucoup, qui passionne, surtout en France d’ailleurs. Il y a certainement une dimension sunnite-chiite dans la région, sur le terrain, etc.
Je trouve cela très réducteur et très simplificateur. Et si on suit simplement le conflit sunnite-chiite, on passe à côté de beaucoup de choses, de beaucoup d’autres explications. Ce conflit n’est pas né d’une histoire sunnite-chiite. Ça l’a sans doute aggravé aujourd’hui, dans tout le contexte régional, avec l’Irak, avec le Liban, etc. C’est bien pour faire des titres, des grands titres dans les journaux et les hebdomadaires qui unifient toute la région dans une sorte de facilité de lecture. Quelqu’un m’a demandé, hier, si mon prénom était chiite ou sunnite. J’ai trouvé ça extraordinaire comme question ! Voilà ce à quoi on peut aboutir dans ce genre de lecture...
C’est vrai que la dimension religieuse a été prise en compte dès le début par les Occidentaux. Ont-ils commis une erreur en ne soutenant qu’assez modérément l’opposition syrienne, de peur que cela ne revienne à soutenir des groupes islamistes ?
C’était vraiment les prévisions auto-réalisatrices. Dès que la rébellion a commencé à s’armer et que ça a pris la tournure d’un conflit armé entre le régime et l’opposition, l’idée était : celui qui donne l’argent et les armes peut dicter sa ligne politique. Et c’est exactement ça. Il ne faut pas chercher d’explication idéologique à l’islamisation de la rébellion syrienne. Il n’y a pas d’autre explication. Qui donne, ordonne. On a vu des barbes pousser, comme ils disent sur le terrain. Ils font pousser la barbe selon l’importance du cash. C’est comme ça.
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L’islamisation a progressé parce que toute l’aide financière et armée est venue des pays ou de partis islamiques qui poussaient vers ça. Comme il n’y a pas eu d’aide, ou très peu, d’autres sources. On est allé vers de plus en plus de radicalisation.
Le début de la première journée de la conférence de Genève, mercredi, a porté en grande partie sur le sort de Bachar el-Assad, d'où la crispation, d'ailleurs. Lui ne fait pas mystère de ses intentions d’être de nouveau candidat l’été prochain. Vous paraît-il concevable qu’il y parvienne et qu’il se maintienne au pouvoir ?
Il ne faut pas non plus suivre l’agenda de Bachar el-Assad, se faire imposer l’agenda par Bachar el-Assad. Qu’est-ce que c’est qu’une élection ou pas une élection ? Qu’un candidat ou pas un candidat ?... Quand, depuis cinquante ans, ce sont des candidats uniques qui sont élus par 95 % des voix ou presque.
Alors qu’il se représente ou qu’il ne se représente pas, ça ne fait aucune différence. Cette échéance qu’il est en train de brandir n’a aucun sens. Ce n’est pas grave qu’il se présente ou qu’il ne se présente pas. Je crois qu’il devrait partir avant. Normalement, si les discussions à Genève aboutissent sérieusement, je crois qu’il est clair qu’un gouvernement de transition ne peut pas être dirigé, ni par Assad, ni, d’ailleurs, par ceux qui auraient commis des abus sur le terrain.