RFI : Damas accuse les pays du Golfe de financer et d’armer des groupes rebelles. Est-ce une réalité ?
Ghassan al-Azzi : Les conflits auxquels on assiste, maintenant, que ce soit en Syrie ou au Liban ont pris une ampleur régionale, voire internationale. Tout le monde sait qu’il y a deux camps qui sont constitués. L’un qui relie l’Iran, la Syrie au Hezbollah, et l’autre dit « occidental », qui regroupe certains pays arabes comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, l’Europe, et les Etats-Unis. Il y également la Turquie qui joue un rôle.
D’un côté, on accuse les autres, de l’autre, on retourne les mêmes accusations, qui ont probablement toutes une part de vérité. Il y a certainement des groupes financés par des pays du Golfe, mais le régime syrien, est également soutenu, armé et financé par ses alliés iraniens et russes.
Peut-on affirmer aujourd’hui que le conflit syrien cristallise les tensions entre un Iran chiite et les monarchies sunnites du Golfe ?
Malheureusement, maintenant, on parle d’une guerre civile entre sunnites et chiites, dans toute la région. Mais en fait l’affaire est plutôt politique et stratégique. C’est-à-dire qu’il y a un conflit stratégique sur la le leadership de la région du Golfe entre d’un côté l’Iran et de l’autre les pays arabes du Golfe.
Il se trouve que les pays arabes du Golfe sont en majorité habités par une majorité sunnite et que l’Iran est un pays à majorité chiite. Mais le conflit n’est pas entre ces deux doctrines. Ce n’est pas un conflit interconfessionnel. Il s’agit d’un conflit plutôt politique et stratégique. Il y a des intérêts bien sûr économiques, mais ça a pris cette forme parce qu’il y a eu déjà, d’abord la guerre civile libanaise, qui a duré quinze ans entre chrétiens et musulmans. Maintenant dans la région, on parle d’une guerre de religion, mais c’est une guerre qui est avant tout un conflit politique.
C’est d’ailleurs le cas du conflit israélo-palestinien. On parle d’un conflit entre l’islam et le judaïsme, mais en fait non. C’est un conflit entre une force d’occupation et un peuple palestinien.
Iran vs. Arabie Saoudite. Vous parlez de divergences stratégiques… Quels sont aujourd’hui les intérêts de l’un et de l’autre autour de la région ?
En fait le conflit porte sur le leadership de la région. Avec l’effondrement de l’Union Soviétique, et la fin de la bipolarité des relations internationales, il y a eu une domination américaine. Face à cette situation, un grand pays comme l’Iran a réussi à se faire une puissance à travers ses alliés régionaux comme le Hezbollah, le Hamas, ou la Syrie.
De l’autre côté, il y a les Américains qui, après l’échec en Irak, l’échec en Afghanistan, commencent à « tourner le dos » pour aller vers l’Asie et le Pacifique, pour développer sa « stratégie du pivot » (cf. encadré ci-dessous). Et il y a un vide qui s’est créé dans le Proche Orient, que l’Arabie Saoudite essaie de combler, tout comme l’Iran. Donc il y a un conflit entre l’Iran et l’Arabie Saoudite pour le leadership de cette région.
Chacun peut prendre la légitimité de ce leadership. L’Arabie Saoudite en tant que pays arabe et en tant que pays musulman. Il y a la Mecque là-bas, avec sa puissance financière. De l’autre côté, il y a l’Iran, avec sa puissance militaire, sa puissance idéologique, et ses alliés.
Le conflit syrien cristallise tous ces conflits. Il y a maintenant une solution qui se profile à l’horizon du côté syrien, avec Genève II. Et du côté iranien, aujourd’hui même avec les négociations avec le 5+1 (négociations sur le nucléaire iranien, entre l'Iran et les cinq membres du Conseil de sécurité, ainsi que l’Allemagne, NDLR)
Il y a un secteur que vous n’avez pas abordé, c’est le secteur économique. Est-ce que ces divergences d’approche entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sont aussi une conséquence de cette bataille économique entre deux grandes puissances pétrolières et gazières ?
Je ne pense pas que cela joue un rôle essentiel, parce que l’Arabie Saoudite est le premier producteur mondial. Il n’y a pas une crainte saoudienne d’être remplacé par l’Iran. Non, je pense plutôt que c’est idéologique, c’est stratégique.
Il se trouve que l’idéologie s’est ralliée à la stratégie, comme à l’époque de l’Union soviétique, où c’était aussi idéologique que stratégique.
Aujourd'hui, il y a le retour de la Russie, et les Etats-Unis, qui commencent la stratégie de pivot, donc le conflit s’accentue.
Il y a un acharnement sur le leadership de cette région et à travers la Syrie. Tout se joue maintenant en Syrie, et il se trouve malheureusement que le Liban est lié à la Syrie, politiquement, géographiquement, économiquement, et j’en passe.
La «stratégie du pivot» des Etats-Unis
Il s’agit d’un changement majeur dans la stratégie américaine, qui tend à voir se désengager les Etats-Unis du Proche et du Moyen Orient pour gagner progressivement en présence (diplomatique, économique, mais aussi militaire) en Asie et dans le Pacifique. Un rééquilibrage qui s’explique par le fait que c’est dans cette région Asie-Pacifique, que se trouvent les plus forts potentiels en matière de croissance économique, d’innovation, et donc de commerce international. Barack Obama devrait décider d’accroître cette stratégie tout au long de son second mandat, mais celle-ci risque de se heurter aux autres puissances régionales (Chine, Inde, … etc).