Mort d'Arafat: «On ne peut rien exclure», selon Jean-Paul Chagnollaud

Yasser Arafat est-il mort d’un empoisonnement au polonium ? Le laboratoire suisse qui a analysé une partie des échantillons prélevés sur son corps, estime la thèse plausible même s’il ne peut la confirmer à 100%. La veuve de Yasser Arafat est convaincue d'un assassinat. Pour Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques et directeur de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerrannée et le Moyen-Orient, ce scénario ne peut être exclu.

Yasser Arafat, l’ancien président de l’autorité palestinienne, est décédé en 2004. Quel était alors le contexte régional ?

Jean-Paul Chagnollaud : Nous ne sommes pas tout à fait à la fin, mais dans la période de la deuxième Intifada, qui avait commencé à la fin de l’année 2000 et qui s’est caractérisée par une extrême violence et globalement par ce qu’on pourrait appeler une expulsion du politique.

Pendant ces années-là, de 2000 à 2005, il n’y avait plus aucune espèce de discussion politique entre Israéliens et Palestiniens. Seules la force et la violence prévalaient. Il y avait les attentats-suicide du Hamas en Israël et puis il y avait une répression tous azimuts, organisée par Sharon, avec notamment beaucoup d’assassinats de personnalités politiques de premier plan, notamment le cheikh Yassine du Hamas en mars 2004 ou son successeur al-Rantissi, le mois suivant.

Nous sommes donc dans une période de très grande violence. A partir de janvier 2005, quelques mois après la mort d’Arafat, et avec l'élection de Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autorité palestinienne, on entre dans une période un peu différente, où l'on fait semblant de commencer à discuter, même si on ne le fait pas vraiment.

Situation de violence, de blocage total, et des Israéliens qui démentent toujours avec véhémence avoir eu un quelconque intérêt à tuer le chef historique du Fatah. Doit-on, selon vous, l’exclure ?

Je crois qu’on ne peut rien exclure dans ce genre de conflit. Il est évident que, pour l’instant, il n’y a absolument aucune preuve. On n’est pas encore tout à fait certain qu’il ait été empoisonné. Le laboratoire suisse est quand même très prudent, même s’il privilégie cette hypothèse. Et ensuite, quels en sont les auteurs ? C’est une interrogation. Je ne suis pas sûr qu’on y réponde un jour.

Maintenant, si on considère le conflit dans sa brutalité initiale ces années-là, tout est possible, y compris bien entendu la volonté de tuer les leaders politiques palestiniens. Beaucoup ont été assassinés. Mais ça ne veut pas dire pour autant que le gouvernement israélien ait voulu en finir avec Arafat de cette façon-là.

Ce qui est certain c’est que le gouvernement israélien à ce moment-là en a terminé avec Arafat dès 2001-2002, en disant – on se souvient très bien de cette formule – ce n’est « plus un partenaire pour la paix ». Les Etats-Unis de George Bush, à l’époque, avaient complètement suivi cette position. Arafat était complètement marginalisé, et se retrouvait assiégé dans son quartier général à Ramallah, la Muqata, qui était entièrement encerclé par les chars. Il était dans une position politique pratiquement dos au mur.

Vendredi matin, le président de la Commission d’enquête palestinienne a désigné Israël comme le principal et unique suspect. Est-ce qu’il n’y a pas aussi, pour l’Autorité palestinienne, la question embarrassante d’une éventuelle complicité dans l’entourage de Yasser Arafat, s’il est avéré qu’il a bien été assassiné ?

Je n’en sais strictement rien, personne n’en sait rien. S’il y a eu un processus d’empoisonnement, il fallait donc faire en sorte que du polonium, une denrée extrêmement difficile à se procurer car très radioactive – simplement quelques Etats peuvent en posséder – soit mis, par exemple, dans les aliments d’Arafat. Donc on ne va pas faire de spéculations.

Ceci dit, on se rend bien compte de la complexité. Qu’il y ait ici ou là tel personnage qui avait pu faciliter ça, c’est possible à un petit niveau. Mais politiquement, bien entendu, je crois qu’il est complètement exclu que des Palestiniens aient eu envie de le tuer. Il ne faut quand même pas oublier ceci : autant il était complètement discrédité du côté palestinien et américain pour des raisons politiques évidentes, autant du point de vue palestinien, il restait l’homme de l’unité nationale palestinienne. Il faut constater qu’après sa mort en novembre 2004, tout a volé en éclats !

A partir de janvier 2005, on a l’élection de Mahmoud Abbas, qui se passe encore bien. Mais après le retrait israélien de Gaza, on connaît la suite avec le Hamas qui va prendre le pouvoir en 2006-2007. Bref, l’unité palestinienne explose littéralement et aujourd’hui en 2013 on en est toujours au même point.

Aujourd’hui, ce rapport suisse intervient aussi à l’heure où les négociations de paix entre Israël et les Palestiniens peinent à reprendre forme. Cela pourrait compliquer la donne ?

Il est certain qu’en Israël, un certain nombre de gens qui ne veulent absolument pas de ces négociations vont utiliser l’argument en disant : « vous voyez bien, les Palestiniens continuent de nous accuser ». Donc ça va certainement polluer un climat qui est déjà extrêmement lourd. D’autant plus que le ministre des Affaires étrangères de ces dernières années, Avigdor Lieberman, avait été écarté du gouvernement, parce qu’il attendait un procès – il vient juste d’être mis hors de cause. Par conséquent, Lieberman va revenir dans le jeu politique. C’est un personnage qui est sur la droite extrême qui ne veut en aucun cas de négociations avec les Palestiniens. On est dans une configuration qui va énormément peser sur des négociations déjà incroyablement fragiles.

Vous pensez qu’un jour toute la lumière sera faite sur cette affaire ?

Je n’en sais rien. Evidemment, je pense que s'il y a des preuves un jour, ce ne sera pas pour tout de suite. Je pense qu’à un certain moment ce genre d’affaire appartient à l’Histoire et non plus à la politique.

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