Elizabeth Byrs sur RFI: «Le problème principal en Syrie: l'accès des humanitaires aux populations»

A l'occasion de la Journée mondiale de l'alimentation, 848 000 personnes ne mangent pas à leur faim. Dénutrition, malnutrition, leurs conséquences sur la santé :du retard de croissance à l'obésité, des questions de société mais aussi des enjeux diplomatiques comme lorsqu'une guerre prive une population entière du droit fondamental qu'est la sécurité alimentaire et c'est ce qui se passe en Syrie, depuis des mois. Elizabeth Byrs, porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM), revient pour RFI sur ces questions fondamentales.

RFI: Combien de Syriens aujourd’hui survivent grâce l’aide alimentaire ?

Elizabeth Byrs: Actuellement, pour le mois de septembre, nous avons atteint 2,7 millions de personnes. Ce n’est pas suffisant, notre but était d’atteindre 3 millions. Nous espérons même pouvoir aider 4 millions de personnes fin décembre, mais les conditions d’insécurité et les combats qui règnent nous privent de l’accès de certains endroits.

Comment se répartissent ces 4 millions de personnes qui ont aujourd’hui besoin de cette assistance alimentaire pour survivre ? Quelle est la répartition entre les réfugiés et les déplacés à l’intérieur même du territoire syrien ?

En fait, il faut essayer de rejoindre les personnes qui en ont le plus besoin, là où elle sont déplacées et nous avons, pour cela, l’aide du Croissant-Rouge syrien qui distribue dans les villages, dans les quartiers, là ou c’est possible et dès que les combats nous en empêchent, malheureusement, il n’y a pas d’accès. On voit la ville de Mouadamiya qui est assiégée depuis plus de dix mois, 2000 personnes - enfants, vieillards, femmes - ont réussi à fuir le 14 octobre dernier, mais des milliers de personnes y restent assiégées. Elles sont privées de tout, d’eau, de nourriture, de médicaments.

Vous parliez précisément du Croissant-Rouge, est-ce qu’il a d’autres organisations qui peuvent accéder à ces populations ?

Le Programme alimentaire mondial travaille avec 22 organisations de charité qui ont été agréées par le PAM, mais le plus important, bien sûr, reste le Croissant-Rouge syrien puisque ce sont des volontaires, ils sont partout, ils savent où distribuer la nourriture. Cela peut être les voisins, les cousins, les amis, les quartiers où ils sont et c’est eux qui sont les « bras » de l’ONU.

Mais ils sont également menacés puisqu’il y a quelques jours, l’un de ces bénévoles a été enlevé. C’est dire aussi que ces intervenants, ces humanitaires, ne sont pas en sécurité...

Les humanitaires ne sont pas en sécurité, on a dénombré a peu près 80 incidents touchant les humanitaires. Nos camions, souvent, sont enlevés, et les chauffeurs kidnappés avec la cargaison. Nous essayons, par des négociations, de récupérer les deux, souvent nous sommes bien contents de récupérer le chauffeur. Le problème est qu’il devient difficile, justement, de trouver des personnes qui veulent bien conduire ces camions. Il y a environ 1 200 camions qui circulent en Syrie et qui transportent l’aide alimentaire du PAM.

Il y a la question de l'accès mais également la question du financement, le PAM dépense combien pour ces populations ?

On estime que, pour les opérations à l’intérieur de la Syrie et dans les pays voisins, pour aider les réfugiés, il nous faut réunir 30 millions de dollars par semaine. Et actuellement, d’ici la fin de l’année, il nous faudra trouver 176 millions de dollars. Donc nous fonctionnons un petit peu au jour le jour, en essayant que le « pipeline » de la nourriture, entre financement et achat et le transport, ne soit pas coupé pour pouvoir continuer à approvisionner et à aider autant que nous pouvons le faire.

Aujourd’hui, quel est le principal problème ? Est-ce que c’est l’attitude de Damas ou est-ce que c’est l’action des groupes armés ?

Je crois que le problème est l’accès. Nous avons besoin de l’accès. « Accès, accès, accès », nous répétons cela à toutes les parties. Il y a des problèmes bureaucratiques, il y a des check-points souvent très nombreux sur les routes, qui gênent et ralentissent les camions. Tout cela, toutes ces contraintes bureaucratiques et surtout l'accès doit être accordé aux humanitaires, pour qu’il puisse faire leur travail. Le problème maintenant est de pouvoir apporter de la nourriture à ces villages, à ces villes qui n’ont rien vu venir depuis près de dix mois.

Et précisément comment acheminer cette aide ? Vous parliez des problèmes de transport très concrets, ces camions qui sont arrêtés, qui sont interceptés. On a vu dans d’autres crises des projets d’envoi par les airs d’une aide humanitaire. Aujourd’hui, c’est complètement exclu ?

Pour le moment, nous travaillons par la route. C’est-à-dire que la nourriture, l’aide alimentaire arrive par le port de Tartous en général et, toute la nuit, les convois convergent vers des entrepôts à Damas et dans les autres grandes villes du pays. Ensuite, ils sont pris en charge par les camions du Croissant-Rouge syrien qui va les apporter et les acheminer dans les endroits de chaque gouvernorat. Quatorze gouvernorats actuellement en Syrie reçoivent cette aide alimentaire. Et pour le moment, malgré la lenteur, les contraintes, les défis, nous avons réussi quand même à atteindre 91% de notre objectif au mois de septembre.

Quand on a vu justement les discussions, cette semaine, sur une résolution aux Nations unies, on parlait de la destruction de l’arsenal chimique, est-ce que vous n’estimez pas que tout le volet humanitaire, l’assistance directe à ces populations a été « mis de côté » ?

Non, l’aspect humanitaire n’est pas mis de côté. Depuis des années, depuis le début du conflit, il y a des forums humanitaires sur la Syrie qui sont tenus à Genève et qui rassemblent toutes les parties prenantes. L’aspect humanitaire est constamment pris en compte, malheureusement il est évident que ce problème d’accès n’est toujours pas résolu et c’est ce qui nous préoccupe le plus. Mais les réunions prenant en compte l’humanitaire sont extrêmement régulières et nombreuses et c’est un travail de tous les jours qui est fait, aussi bien par l’ONU à New York que sur le terrain, que depuis les pays voisins et bien sûr Genève également.

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