Denis Bauchard: «La préoccupation russe, c'est l'arrivée des islamistes au pouvoir en Syrie»

Aux yeux du ministère chinois des Affaires étrangères, qui l'a fait savoir ce vendredi 6 septembre, l’ONU a encore un rôle important à jouer pour résoudre la crise en Syrie. Un optimisme paradoxal, puisque les Etats-Unis estiment que le Conseil de sécurité, en raison de l’intransigeance des Russes, ne peut lever les blocages. Jeudi, trois navires de guerre russes ont d'ailleurs franchi le détroit du Bosphore. Pour en parler, Denis Bauchard, conseiller à l’Institut français des relations internationales (IFRI), auteur de l'ouvrage Le Nouveau monde arabe aux éditions Versaille.

RFI : Les diplomates ont-ils encore un rôle à jouer pour tenter de démêler la crise syrienne ?

Denis Bauchard : Je le pense. Il faut l’espérer, parce que le résultat de la réunion de Saint-Pétersbourg a finalement été une hostilité marquée contre toute intervention militaire, avec une forte majorité. Manifestement, la Russie a été suivie sur ce point par treize Etats, non seulement la Chine mais également les pays émergents. Donc, il faut que les diplomates reviennent dans le jeu, ce qui est sans doute également difficile.

Mais il est clair que seule une solution politique peut permettre de résoudre cette tragédie syrienne. Les choses peuvent évoluer. Il est clair que Poutine reste un soutien à Bachar el-Assad, non pas inconditionnel mais encore très ferme, tant qu’il n’a pas l’assurance que la solution alternative ne sera pas les islamistes au pouvoir. Je crois que c’est ça, fondamentalement, les préoccupations russes.

Aujourd’hui, les assurances doivent-elles venir des insurgés ?

Oui, je pense qu’un des problèmes qui rend cette solution politique très difficile, c’est qu'il n’y a pas une opposition, il y a des oppositions. L’opposition rebelle n’est pas encore suffisamment coordonnée, cohérente. Certes, ce qu’on appelle la Coalition, présidée par Ahmad al-Jarba, représente une des oppositions mais pas la seule.

Les Kurdes sont également dans l’opposition et leur préoccupation, n’est pas de promouvoir la démocratie en Syrie. C’est de bénéficier d’un statut d’autonomie comme en Irak. Quant au front al-Jarba, là aussi, la promotion de la démocratie n’est pas leur problème. Donc, il faut qu’il y ait une véritable opposition, je dirais « démocratique» forte avant que les Russes ne puissent songer à lâcher Bachar.

Vous disiez qu’on a vu une opposition anti-intervention se lever. Malgré tout, il suffit d’un vote au Parlement américain pour que les frappes commencent, n'est-ce pas ?

Oui, certes. Mais je pense que la légitimité d’une intervention militaire sera faible, car il n’y aura pas l’aval des Nations unies. Et à l’évidence, ces interventions seront faites contre la grosse majorité des opinions publiques, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. C’est clair en Grande-Bretagne, c’est clair aux Etats-Unis où un récent sondage montre que les trois quarts de la population ne veulent pas d'une intervention militaire, et je pense que c’est clair également en France.

Justement, le ministre français des Affaires étrangères, entre Saint-Pétersbourg et Vilnius, s'est dit déterminé à convaincre les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. Ou du moins, les conduire à critiquer avec force Damas, en cas de preuve d’action chimique contre la population le 21 août dernier. Ne serait-ce pas un pas vers une réconciliation intereuropéenne sur la voie de cette intervention ?

Manifestement, nos partenaires européens sont extrêmement réticents, et non des moindres, y compris des pays comme l’Allemagne ou l’Italie. Je pense qu’il y a à la fois un scepticisme sur l’efficacité d’une intervention telle qu’elle s’esquisse, mais également la crainte que cette intervention, même modeste, ne provoque un engrenage dans ce Moyen-Orient déjà en haute turbulence. Un engrenage qui pourrait avoir des conséquences politiques et économiques graves.

Le sommet du G20 pourrait-il, malgré tout, relancer l’initiative de « Genève 2 », à savoir une réunion pour préparer, peut-être, la vie politique en Syrie demain ?

Ecoutez, l’atmosphère du dîner d’hier soir ne laisse pas très optimiste... D’ailleurs, le G20 n’est pas véritablement l’instance appropriée. C’est une instance à caractère économique. Alors, il se trouve que les principaux pays se trouvent là, et qu’il y a déjà eu déjà - et qu’il y aura sans doute encore aujourd’hui - des contacts bilatéraux qui permettront peut-être de faire avancer un petit peu les choses.

Les membres du G20 sont aussi membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU...

Oui, absolument. La France, la Grande-Bretagne, la Chine, etc. Je dirais qu’il peut y avoir des discussions susceptibles de permettre, après, notamment au niveau du Conseil de sécurité, de progresser un peu.

Mais il y a un calendrier : le vote à Washington, c’est le 9 septembre.

Oui, c’est effectivement une échéance, et pas sûr d’ailleurs que le vote soit acquis dès le 9. Il n’est pas sûr du tout que la résolution proposée par le président Obama soit adoptée. Il y a manifestement des réticences. Et comme vous le savez, aux Etats-Unis - et aussi bien au sein du Parti républicain qu’au sein du Parti démocrate -, il n’y a pas de discipline de vote et on sent bien que les deux partis sont assez divisés en leur sein.

Un scénario à la Britannique est-il possible à Washington, puisqu’on a vu Londres refuser cette intervention militaire ?

Ce n’est pas exclu… Ce n’est pas exclu.

On sent un contraste entre votre sentiment - vous prônez la voie diplomatique - et la réalité, à savoir des mouvements d'armées en Méditerranée, et notamment la Russie qui envoie de nouveaux navires de guerre sur place...

Oui, je dirais que chacun joue son jeu. Mais il clair que l’intervention militaire envisagée ne sera possible que si le Congrès américain adopte la résolution proposée par l’administration, par le président Obama, ce qui n’est pas encore évident. Et entretemps, je dirais que chacun se prépare, puisqu'effectivement, aussi bien Damas que Moscou, ont le temps de se préparer.

Denis Bauchard aux Editions Versaille « Le Nouveau Monde arabe ».

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