Frédéric Pichon sur RFI : «l’enjeu est plus large» que la seule question des armes chimiques

L’opposition syrienne accuse le régime de Bachar el-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques dans la nuit du 20 au 21 août, lors de bombardements massifs sur les banlieues de Damas. Les autorités syriennes ont démenti et accusé des chaînes comme al-Jazira ou al-Arabiya de propager des informations totalement fausses. L’opposition syrienne parle de centaines de morts. Frédéric Pichon*, historien et spécialiste de la Syrie, apporte son éclairage sur des faits complexes et extrêmement sensibles.

RFI : Ce n’est pas la première fois que le régime est accusé par la rébellion d’avoir recours à des armes chimiques, mais on a toujours le même problème, à savoir les preuves ?

Frédéric Pichon : Oui, les preuves et aussi les sources. Vous parlez de l’opposition syrienne. On a en fait eu aujourd’hui plusieurs scénarii. L’OSDH, l’Observatoire syrien des droits de l'homme, ne parle que de bombardements pour le moment. Une autre faction de l’opposition syrienne, les Comités de coordination locale, parle d’une attaque chimique. Outre la difficulté d’avoir des sources et des témoignages concordant, on peut quand même se poser la question de la concomitance avec la venue de ces inspecteurs de l’ONU qui précisément viennent enquêter sur l’utilisation d’armes chimiques pour avérer le fait et non pas pour forcément désigner des responsables.

Cette concomitance vous paraît un peu étrange ?

Il n’y a pas qu’à moi, à vous-mêmes, toutes les rédactions et toutes les chancelleries aussi voient ça comme un énième épisode de cette guerre épouvantable qui maintenant dure depuis plus de deux ans. Encore une fois, il ne faut pas oublier, l’immense majorité des morts ne l'ont pas été par des armes chimiques, toxiques, neurotoxiques (...). Et au quotidien, ce sont toujours des bombardements, des attentats, des attentats suicides, des obus qui déciment des civils, des militaires de l’armée régulière et puis aussi des combattants de la rébellion.

L’opposition syrienne parle ce matin de gaz neurotoxiques. Est-ce que l’on sait de quel type d’armes chimiques disposerait le régime syrien ? Et la même question se pose d’ailleurs pour la rébellion...

En fait, on n’en sait rien. C’est pour cela qu’il y a cette enquête de l’ONU. A vrai dire, c’est quand même le régime lui-même, en mars 2013, qui a interpellé l’ONU. Son ambassadeur sur cette question-là a demandé à ce qu’il y ait une enquête impartiale. Après on a eu les échantillons de gaz sarin qui avait été prélevés par des journalistes du Monde, mais qui avaient été quand même évacués de Syrie, exfiltrés par les services secrets français via Beyrouth - maintenant c’est un secret de polichinelle -, et qui tombaient opportunément à un moment, au printemps 2013, où tout le monde finalement se résignait à une conférence négociée politique.

C’est une manière aussi un peu cynique d’essayer de rebondir sur ce fait, avec la ligne rouge qu’avait fixée Barack Obama, pour tenter de torpiller un processus qui de toute façon est inéluctable. On ne voit pas de sortie de crise du point de vue militaire. On a vu les réticences des Etats-Unis et aussi de la plupart des pays européens, à part la France, à la fourniture d’armes aux rebelles.

Sans sous évaluer l’atrocité de ce type d’armes qui a sans doute aussi été utilisé par les rebelles - tout le monde le pressent plus ou moins - il faut quand même voir que l’enjeu est beaucoup plus large : celui d’une guerre civile absolument épouvantable.


* Frédéric Pichon est l'auteur de Géopolitique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, aux Presses universitaires françaises (PUF).

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