RFI : Le président par intérim, Adly Mansour, avait promis, la semaine dernière, une dispersion calculée et progressive de ces rassemblements au Caire. N’est-ce pas plutôt la manière forte qui a été employée ce mardi ?
Virginie Colombier : Ce n’est pas vraiment surprenant, quand on connaît les moyens d’action des forces de police égyptiennes, qui ne sont de toute façon pas formées pour ce genre d’opération et qui, au-delà même des questions de formation, montraient depuis plusieurs semaines qu’elles avaient plutôt envie d’en découdre avec les partisans des Frères musulmans. Donc, le fait que la dispersion se soit faite de manière particulièrement violente, et de cette manière, n’est pas réellement surprenant.
Les autorités n’avaient-elles pas d’autres choix ou ne le voulaient-elles pas ? N'était-il pas possible d’envisager, par exemple, une médiation politique pour mettre un terme à ces rassemblements ?
Il y a eu plusieurs initiatives, au moins au cours des dernières semaines, à la fois au plan international avec, en particulier, les efforts européens menés par Catherine Ashton (chef de la diplomatie européenne, ndlr) qui ont été largement médiatisés. Les Américains sont également intervenus. Puis, il y a eu, surtout - et beaucoup plus important - des médiations qui ont été tentées au niveau interne avec en particulier l’initiative du grand cheikh d'al-Azhar, qui a essayé de mettre autour de la table à la fois le gouvernement intérimaire, les militaires, les Frères musulmans, qui ont refusé de participer. Les salafistes ont également tenté d’agir, au moins en tant qu’intermédiaire.
Tous ces efforts-là ont échoué, ce qui n’apparaît plus vraiment surprenant quand on voit l’atmosphère de polarisation et de radicalisation qui s’est largement développée, au moins au cours des deux ou trois dernières semaines. On sentait bien que chacun des deux camps, à la fois Frères musulmans d’un côté, et forces de sécurité et militaire et police de l’autre, avaient envie d’en découdre. Tout simplement les Frères musulmans ont dit à de nombreuses reprises qu’ils n’étaient pas prêts à renoncer. Un certain nombre de responsables, de leaders, ont très clairement incité à répondre par les armes et ont même incité à la violence et ont été à l’origine de plusieurs actes violents dans le Sinaï. Et même chose du côté des forces de sécurité qui, maintenant, veulent clairement mater la résistance des Frères musulmans et veulent faire place nette. Ce n’est pas réellement surprenant.
Les initiatives existaient, je pense qu’elles sont sincères de la part de la plupart des acteurs qui sont engagés. Malheureusement on est face, maintenant, à deux camps qui sont extrêmement polarisés et extrêmement radicalisés, prêts à faire usage de la violence sans réellement, semble-t-il, se préoccuper des gens qui sont victimes de ces actes de violence.
Les Frères musulmans ont appellé, ce mercredi matin, les Egyptiens à descendre dans la rue pour « arrêter le massacre ». Peux-t-on peut imaginer une réponse violente contre l’armée et le pouvoir en place ?
La réponse violente a déjà commencé. On voit, même au-delà des appels à se mobiliser contre l’armée, que depuis ce matin il y a eu un certain nombre d’attaques qui ont été menées par des militants, ou en tout cas par des proches des Frères musulmans, contre des églises. On peut s’attendre malheureusement à ce que dans les jours qui viennent la situation ne se calme pas et que la violence ait tendance à dégénérer. Ensuite, sur le plan du rapport de force, c’est très difficile de faire des pronostics, de savoir comment les choses peuvent tourner, mais il est clair qu’aucun des deux camps dans le contexte actuel n’est prêt à renoncer.
Est-ce qu’il y a, dans la mouvance des Frères musulmans comme dans la population, suffisamment de partisans de l’ancien président pour inquiéter massivement les autorités ?
Je ne pense pas que ce soit sur ce terrain-là que ça se joue, en tout cas pas au premier plan, puisqu'il y a un gouvernement provisoire, qu’il y a des responsables civils qui sont officiellement aux manettes et au gouvernement, même si tout le monde sait bien que derrière ce sont les militaires qui, maintenant, assurent le pilotage du pays. La question, c’est plutôt, comment faire en sorte de maintenir le contrôle sur le territoire et d’éviter que la situation ne dégénère trop.
Justement, on sait que les Frères musulmans sont une force politique très organisée. S’ils armaient leurs partisans, que se passerait-il ?
Les armes sont déjà présentes, les armes circulent chez les Frères musulmans. Elles étaient présentes visiblement, même si les informations étaient très contradictoires sur ce sujet-là. Mais on voit que des armes étaient également présentes sur les lieux des deux principaux sit-in au Caire. On sait très bien qu’un certain nombre de militants Frères, de toute façon, sont armés et que les armes circulent dans le pays. Donc, oui, on peut s’attendre à ce qu’il y ait des affrontements violents et que les choses prennent un peu plus d’ampleur dans les jours qui viennent. Est-ce que l’armée à la capacité de tout maîtriser ? Vraisemblablement, non. Est-ce qu’on peut s’attendre à une sorte de reprise du pouvoir violente par les armes par les Frères ? Je ne pense pas non plus. C’est pour cela qu’on est dans une situation à la fois instable et dangereuse, où l'on risque d’avoir des irruptions de violence localisées ici et là, et des moyens très violents de réprimer et de mater de la part des forces de sécurité. Mais une reprise du pouvoir par les militants Frères par la voie des armes, je ne pense pas, à l’heure actuelle.