Jean-Paul Chagnollaud: «Trouver des moyens d’avancer vers la paix israélo-palestinienne»

Trois ans qu'ils ne s’étaient pas retrouvés, trois ans de dialogue gelé entre les Israéliens et les Palestiniens. Ils se retrouvent à partir de ce lundi 29 juillet 2013 au soir à Washington aux Etats-Unis. Leur objectif est de reprendre le processus de négociations de paix. A quoi doit-on s'attendre ? La volonté politique suffira-t-elle à dépasser les clivages chroniques ? Eléments de réponse avec Jean-Paul Chagnollaud, professeur des universités, directeur de l’Institut de recherche et d’étude sur la Méditerranée et le Moyen-Orient.

RFI : Des négociations de paix gelées depuis trois ans et, sur le papier, des positions qui semblent irréconciliables, notamment sur la question des colonies qui avait fait échouer les dernières négociations. Pourquoi cela pourrait-il changer aujourd’hui ?

Jean-Paul Chagnollaud : Peut-être parce que la situation dans la région s’est profondément dégradée. Je crois que c’est l’intérêt des uns et des autres, sur le long terme, d’essayer de trouver des moyens d’avancer dans un processus de paix. Mais cela dit, les chances que ça puisse vraiment démarrer demeurent extrêmement faibles. Pour l’instant, on en est juste à la possibilité d’une reprise, il y a eu simplement un geste concret et c’est tout à fait important, mais évidemment ce ne sera pas suffisant pour la suite. Ce geste concret, c’est le fait qu’il y ait eu l’annonce de la libération de prisonniers palestiniens qui sont dans les geôles israéliennes depuis les années 1980 ou 1990 et avant Oslo.

Est-ce un signe positif ou bien une manière de dire : « Nous faisons un pas, vous devez en faire un à votre tour » ?

C’est bien entendu l’objet des compromis qui ont dû avoir lieu. On ne les connaît pas dans le détail. Les Palestiniens sont très attachés à l’idée d’une libération de prisonniers, c’est donc acquis, mais aussi à ce que les discussions partent sur les lignes de 1967, dont ne voulaient pas les Israéliens. Donc ça, c’est un point qui n’est pas complètement réglé, les Américains ont promis d’indiquer que ce serait effectivement les lignes 67, mais à condition qu’il y ait des échanges de territoire. Donc, même au niveau de la base de la négociation, je ne crois pas qu’on puisse dire que tout est réglé, bien au contraire. Il faut être extrêmement prudent. Je pense que déjà, si ce processus s’enclenchait, ce serait quelque chose d’important et de positif, mais on n’en est même pas là.

Les lignes de 1967, la colonisation… Quels sont les autres problèmes sur lesquels vont plancher les deux négociateurs, Tzipi Livni et Saëb Erakat ?

Si cette étape dont nous parlons n'est pas bien stabilisée, à ce moment-là, il est question, bien sûr, de parler de l’ensemble des problèmes. C'est-à-dire la colonisation, la question de Jérusalem, qui est évidemment au cœur d’une discussion de cette nature, les réfugiés, la sécurité de l’Etat d’Israël et bien entendu la création d’un Etat palestinien. C'est-à-dire qu’on irait directement, si toutefois on arrivait à passer cette première étape de stabilisation d’un début de négociation, pour discuter les gros thèmes, les gros dossiers, qui sont au cœur de la question israélo-palestinienne depuis des décennies. C’est dire l’ampleur de la tâche qui attend les négociateurs.

Côté israélien, si les deux parties réussissent à aboutir, on sait désormais que s’il y a accord, il sera soumis à référendum. Est-ce que la population israélienne sera prête, selon vous, à suivre les décisions des négociateurs ?

On ne pourra y répondre que lorsque l’on saura quel sera l’objet même du référendum, quels seraient les termes d’un accord éventuel. Cela dit, faire en sorte qu’il y ait un référendum, c’est, dans l’absolu, quelque chose de plutôt positif. Ca veut dire que l’ampleur des questions et du destin d’Israël est en jeu et il est tout à fait légitime que ce soit en référendum que l’on décide. Alors, il y a plein d’arrière-pensées politiques, mais sur le principe – que le peuple israélien et, de son côté le peuple palestinien ratifient des accords comme ça – on peut penser que c’est une bonne chose. Mais une fois encore, on est très loin de tout ça, parce que de toute façon, il faut savoir de quel type d’accord il s’agira. Alors, il faut y aller prudemment et par étapes, en voyant si, dans les prochains jours, les uns et les autres vont réussir à s’entendre pour pouvoir simplement commencer.

Il aura fallu pas moins de six déplacements dans la région de John Kerry, des entretiens à répétition, du secrétaire général avec toutes les parties. Est-ce que c’est aux Américains que l’on doit ce retour au dialogue ?

Je crois que sans une intervention extérieure, il était exclu que les Israéliens et les Palestiniens puissent enclencher quelque dialogue que ce soit. L’asymétrie est trop grande : il y a une puissance occupante d’un côté, un peuple occupé et divisé en plus, de l’autre. Donc ça ne pouvait être, effectivement, que grâce à une intervention extérieure. Et parmi les interventions extérieures, c’est bien connu depuis très longtemps, il n’y a que Washington qui ait vraiment les moyens de faire bouger les choses. Les Européens pourront peut-être appuyer la démarche, mais l’initiative ne peut être qu’américaine.

Partager :