Pour cette journée de mardi, les Frères musulmans et leurs alliés attendent 2 millions de manifestants. Les islamistes exhortent leurs sympathisants à converger vers « les bâtiments administratifs des forces de sécurité » pour dénoncer « l'usage de balles réelles contre des manifestants pacifiques ». Mais dans un contexte de montée des violences, cette journée promet d’être celle de tous les dangers.
En dépit des événements sanglants du week-end dernier - le pire épisode de violences depuis la destitution du président islamiste Mohamed Morsi -, et malgré les avertissements de l'armée et du gouvernement, la détermination des pro-Morsi ne semble pas faiblir.
« Abattre le putsch »
L’appel à la mobilisation de mardi est lancé par une coalition de partis islamistes qui a baptisé cette journée : « La journée du soutien à la légitimité pour abattre le putsch ». Réussira-t-elle a faire défiler 2 millions de personnes dans les rues ? Cela paraît douteux étant donnée la violence de ces derniers jours.
Dans la soirée de ce lundi, un cortège de plusieurs milliers de partisans de Mohamed Morsi sont partis de la mosquée de Rabaa (épicentre de la mobilisation des partisans de Morsi). Mais les manifestants ne se seraient pas dirigés vers les bâtiments de la police et des renseignements militaires, comme cela était prévu.
Il faut dire qu’après son coup de force du week-end dernier, l'armée avait prévenu les manifestants d'éviter de s'approcher des « sites militaires ». En outre, pour rejoindre ces bâtiments, les pro-Morsi devaient traverser des quartiers qui ne leur étaient pas forcément favorables, voire franchement hostiles.
Mécontentement vis-à-vis de l'armée
Pourtant, le mécontentement vis-à-vis de l'armée semble s’étendre dans la société. Le nouvel homme fort du pays, le général Abdelfattah al-Sissi, qui cumule les postes de chef d'état-major, ministre de la Défense et président du Conseil suprême des forces armées, et à qui on attribue la chute de Mohamed Morsi, est aussi de plus en plus critiqué par ceux qui jusqu'à présent, soutenaient l'armée contre les islamistes.
Il est vrai que les militaires ne se sont pas complètement retirés du devant de la scène politique, comme ils l'avaient promis. Ainsi, mercredi dernier, le général al-Sissi a appelé le peuple à manifester en faveur de l'armée, pour lui donner mandat et en finir avec la violence et le terrorisme. Autrement dit, manifester contre les Frères musulmans. Des millions de personnes avaient répondu à l'appel sur toutes les places et dans toutes les régions d'Egypte, et notamment les militants du mouvement Tamarrod, qui avaient appelé à manifester contre M. Morsi en juin dernier.
Mais après les violences du week-end dernier, beaucoup ont vu ces appels à manifester comme une volonté de l'armée de légitimer la répression des rassemblements islamistes.
Troisième voie
Les tueries du samedi 27 juillet ont été condamnées par le vice-président et ancien opposant Mohamed el-Baradei, mais aussi par la jeunesse de gauche qui saluait pourtant il y a un mois les actions de l'armée. Pour cette dernière, on ne peut pas tout à fait exclure un retour aux méthodes de l’ère Moubarak. Mardi, une autre manifestation est prévue, celle du mouvement Troisième voie, qui se dit ni avec les Frères, ni avec l'armée.
L'ONG Amnesty International s'alarme d'un « mépris de la vie humaine » de la part de l'armée, qui tire sans avertissement sur la foule. Une dizaine d'ONG égyptiennes demandent ce lundi la démission du ministre de l'Intérieur à la suite de cette tragédie, mais elles demandent également aux Frères musulmans de renoncer à la violence. Une indignation partagée par une partie de la communauté internationale, dont les Etats-Unis. Ce lundi 29 juillet, la Maison Blanche a en effet fait savoir qu'elle condamnait « avec force » la répression sanglante des manifestations du week-end.
De leur côté, les militaires jurent n'avoir utilisé que des gaz lacrymogènes et accusent les manifestants pro-Morsi d'avoir provoqué les violences et le terrorisme.
La voix de la rue
Dans ce contexte, il est difficile d'imaginer la mise en place d'un processus politique. Les Frères musulmans refusent toute discussion avant le retour à l'ordre constitutionnel, c'est-à-dire le retour au pouvoir du président Morsi et l'annulation du coup d'Etat. Ils dénoncent toujours l'arrestation de l'ancien président, inculpé par la justice.
Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne arrivée dimanche 28 juillet au Caire, a dû mesurer l'ampleur des divisions. Elle a notamment vu le général al-Sissi et le président intérimaire Adly Mansour, mais aussi des représentants des Frères musulmans et de Tamarrod.
Davantage que ces rencontres, c'est la voix de la rue qui devrait peser ce mardi 30 juillet. C'est dans la rue que l’on mesurera le véritable rapport de force et le degré de mobilisation de chaque camp. Ce qui comptera et sera scruté également, c’est bien entendu la réaction de l'armée face à la mobilisation.
Dans les rues, une partie de la population du Caire commence à trouver la situation intenable. Faut-il forcément choisir entre les Frères musulmans et l'armée ? Ci-dessous, le microtrottoir de notre correspondante Perrine Mouterde.