Dans son dernier rapport, la commission d'enquête indépendante de l'ONU fait le constat d'une guerre où les atrocités sont commises par les deux parties. Si elle n’a toujours pas eu l'autorisation par Damas de se rendre sur place, la commission se dit presque certaine de l'usage d'armes chimiques.
Mais, contrairement à la France, elle avoue ne pas savoir quel agent a été utilisé. Paris est donc le premier gouvernement à s'avancer autant sur cette question. Même si pour l'heure, la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a affirmé qu'il n'y aurait pas de « décision unilatérale et isolée de la France ». Et d'ajouter : « c'est désormais la communauté internationale qui est saisie ».
Pour Olivier Lepick, chercheur à la Fondation de recherche et stratégie, l'annonce française change la donne.
Il observe ainsi : « Le centre d’étude du Bouchet qui est habilité par l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques a livré des résultats qui ne sont pas contestables et la ligne rouge a, en effet, été franchie avec l’un des agents les plus toxiques qui soit en matière de guerre chimique. On va voir dans les jours qui viennent ce que les chancelleries occidentales, Washington, Paris ou Londres vont décider, maintenant qu’on a la preuve irréfutable de l’utilisation d’un neurotoxique phosphoré en Syrie ».
100 000 morts par armes conventionnelles
Outre la question des armes chimiques, il était question des armes dites conventionnelles dans ce rapport de la commission d'enquête de l'ONU. Celui-ci pointe ainsi que les 100 000 morts du conflit ont surtout été causés par les armes conventionnelles. Notamment, les bombardements des chars et de l'aviation.
Le cas de Qousseïr, cette ville stratégique proche du Liban est évoqué dans le rapport. Les bombardements et le siège par l'armée se poursuivent là-bas depuis plus de deux semaines. Et l'on a appris, mercredi 5 juin, que la ville serait tombée aux main de l'armée syrienne. Elle était occupée depuis 18 mois par les insurgés.
À partir de témoignages de civils ayant fui les combats, l'ONU évoque aussi des massacres commis sur des bases confessionnelles. Le chef de la commission d'enquête, Paulo Sergio Pinheiro, interviewé avant l'annonce française, craint que la question des armes chimiques ne couvre la réalité quotidienne des Syriens depuis deux ans.
« Il ne faut pas que la polémique sur l’utilisation des armes chimiques occulte les horreurs épouvantables, la peur, la souffrance de 19 millions de personnes qui continuent de vivre en Syrie », insiste-t-il.
Des exactions dans les deux camps
S'il y a les exactions du régime, il y a aussi celles des rebelles. Et plus le conflit s'éternise, plus l'opposition se radicalise. L'ONU souligne en particulier la mainmise croissante des jihadistes, souvent venus de l'étranger.
Notamment al-Nosra qui a fait allégeance à al-Qaida. On se souvient des vidéos d'exécutions sommaires, parfois atroces, commises par cette brigade. Ou celle d'un rebelle éviscérant un soldat du régime. Ces vidéos ont entaché l'image de la rébellion.
Sur le plan militaire, les rebelles sont accusés d'utiliser des zones d'habitation comme base opérationnelle, augmentant le risque de victimes civiles. Le rapport évoque aussi un recours aux enfants soldats par l'opposition et des massacres de villageois chiites.
Mais l'ONU souligne néanmoins que les crimes commis par les rebelles n'atteignent pas l'ampleur de ceux commis par Damas, avec la complicité de ses alliés.
Le Hezbollah libanais et la Russie pointés par le rapport
Justement, l'ONU pointe l'implication du Hezbollah libanais dans ce conflit, notamment à Qousseïr, et dénonce la présence de 3 à 4 000 combattants de la milice chiite libanaise, qui se battent aux côtés du régime syrien. Cette présence renforce la nature régionale et confessionnelle du conflit.
Mais à en croire le politologue Gilles Kepel, cette guerre est surtout devenue le terrain de jeu de l'allié russe, soupçonné d'avoir livré les fameux missiles S 300 à Damas.
« La Russie a fait de la Syrie un lieu de démonstration de la qualité de son matériel. C’est aussi la guerre des marchands d’armes. Est-ce que les Russes sont capables d’avoir un matériel qui dépasse celui fourni par les Occidentaux à l’autre camp ou à Israël ? C’est aussi cette dimension-là qui se joue ».
Gilles Kepel n'est donc pas loin de décerner la palme du cynisme à la Russie. À la fois partie prenante dans le conflit syrien, elle veut désormais être à la pointe de la solution politique, avec le parrainage de la Conférence Genève 2, prévue en juillet prochain. La participation de l'Iran serait au coeur des débats préparatoires.