Salam Kawakibi: «La levée de l'embargo sur les armes pour la Syrie est un élément de pression»

La décision européenne de lever l’embargo sur les armes pour la Syrie ne devrait pas être immédiatement mise en application et ce pour ne pas compromettre l’initiative de la conférence internationale de Genève. Ce sont donc les ministres européens des Affaires étrangères qui, lundi 27 mai à Bruxelles, n’ont pas reconduit les sanctions, ce qui ouvre la voie à des livraisons aux rebelles pas avant deux mois. Un choix déjà commenté à Moscou, où l’on regrette cette levée de l’embargo qui, selon la diplomatie russe, porte un préjudice direct aux efforts pour cette conférence. Salam Kawakibi est chercheur en sciences politiques et relations internationales à l’Initiative de réforme arabe (ARI). Il était ce mardi 28 mai l’invité de la mi-journée de RFI.

RFI : Est-ce que c’était le bon moment pour lever l’embargo ?

Salam Kawakibi : Je crois qu’en critiquant cette décision de l’Union européenne de lever l’embargo sur les armes, les Russes savaient très bien qu’elle n’allait pas aboutir à une livraison d’armes aux unités sélectionnées de l’armée libre, qu’elles soient modérées ou laïques. Ils savaient très bien que c’est une façon politique que les Européens ont trouvée pour mettre une pression sur les négociations politiques à Genève. Les Européens savaient aussi que cette levée d’embargo, en mettant deux mois comme délai, n’allait pas rassurer quiconque, que ce soit les pacifiques ou les gens qui cherchent une solution plus armée.

Justement, il y a cette date du 1er août, pas d’armes livrées avant deux mois. Et un porte-parole de la coalition nationale de l’opposition syrienne le regrette, il juge cette décision trop tardive.

Attendre deux mois va permettre un renforcement des groupes radicaux qui, de leur côté, n’attendent pas une décision de l’Union européenne pour lever ou imposer un quelconque embargo et continuent à recevoir leurs soutiens militaires et leurs soutiens financiers. Je crois que c’est là le danger. Si on va encore attendre pour sanctionner plus ou moins l’opposition modérée et les unités laïques de l’armée libre, cela ne va que renforcer les fractions radicales.

Alors qu’aujourd’hui précisément se jouent des batailles très importantes, on pense en particulier à ce qui se passe du côté de Qousseir, à la frontière libanaise.

A Qousseir, il y a une intervention iranienne par le biais du Hezbollah, une intervention étrangère sur le sol syrien. Malgré tout, il y a une résistance assez remarquable pour le moment, mais on ne sait pas jusqu’à quel moment cette résistance peut se maintenir, parce qu’il y a un manque de munitions, un manque de soutien et un manque de solidarité internationale avec les Syriens. Malgré tous les beaux discours, les bonnes déclarations et les bonnes intentions, la voie est largement ouverte aux gens du Hezbollah qui sont le bras armé de la diplomatie iranienne.

Des questions restent toutefois sans réponse : à qui faudra-t-il livrer ces armes dans deux mois ? Où arriveront ces armes ? Et entre les mains de qui tomberont-elles ?

Les Européens avec leurs services de renseignement et leurs forces militaires savent beaucoup mieux que moi, et que tous les spécialistes et tous les observateurs politiques, à qui livrer les armes. Ou au moins, pour ne pas parler de livraison d’armes, ils savent très bien comment exercer des pressions sur les pays amis et les pays qui investissent largement en Europe pour qu'ils cessent de soutenir d’un côté le régime comme le fait la Russie, et de l’autre côté les groupes amicaux comme les pays du Golfe.

Il y a cette échéance de Genève. Les Européens ont insisté sur le fait que si l’embargo était levé, il fallait d’abord donner la chance à la diplomatie. Selon vous, c’est contre-productif ?

Je ne crois pas que ce soit contre-productif. C’est un élément de pression pour faciliter les négociations. Mais quand on parle de négociations, il faut parler de visions. Est-ce qu’il y a une vision chez les Européens concernant Genève II ? A ma connaissance, jusqu’à maintenant on parle de Genève II comme étant un symbole, une occasion de réunir des belligérants, et on ne sait pas exactement de quoi on va discuter. On évoque les questions militaires et sécuritaires et ensuite on dit que ce n’est pas le lieu et que l’on évoquera seulement la question politique. Ni les Européens, ni les Américains, ni les Russes ne sont clairs sur ce qui va se passer à Genève.

Cette levée de l’embargo ne peut-elle pas servir de prétextes aux autorités syriennes pour ne pas se rendre au rendez-vous de Genève ?

La délégation syrienne qui a été annoncée pour le moment contient des personnalités insignifiantes au sein du pouvoir, qui n’ont même pas le pouvoir de donner des ordres à leur chauffeur. Alors, le régime traite l’initiative de Genève avec beaucoup de légèreté et il n’attend pas de prétextes pour dire oui ou non sur quel que point que ce soit.

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