De notre correspondante à Koweït,
Musallam al-Barrak est un ancien syndicaliste qui fait partie d’une puissante tribu. Il a été député du Bloc populaire durant plusieurs années, jusqu’en décembre 2012. Mais il est surtout devenu une icône de l’opposition et des jeunes militants depuis son discours mémorable d’octobre 2012.
Dans cette intervention très critique à l'encontre du pouvoir, il s’est adressé directement à l’émir Cheikh Sabah al-Ahmad, une pratique inhabituelle au Koweït. L’une de ses phrases est devenue célèbre : « Nous ne te permettrons pas », sous-entendu, de « transformer le Koweït en autocratie ». Une injonction reprise ensuite dans tous les rassemblements et manifestations au Koweït.
Un afflux de comparutions devant les tribunaux koweïtiens
Ces derniers temps, les procès et condamnations politiques sont légion au Koweït. En effet, alors que se déroule le procès de Musallam al-Barrak, une autre audience a lieu dans le palais de justice de la ville de Koweït, convoquant 70 autres personnes, dont neuf anciens députés de l’opposition. Ils sont accusés d’être entrés de force dans les locaux du Parlement en novembre 2011 suite à une manifestation. Ils sont pour la plupart poursuivis pour d’autres motifs, notamment insultes à l’émir ou participation à des manifestations illégales.
Dans une autre salle, des dizaines de « bidoun », des sans-papiers du Koweït, sont jugés pour avoir participé, eux aussi, à des manifestations. Au 6e étage, la cour d’appel confirme la prison pour deux jeunes gens également condamnés pour avoir insulté l’émir sur Twitter, tout en réduisant leur peine à un an et demi de prison contre deux ans en première instance. Tous les jours, le palais de justice reçoit des audiences similaires. Et d’après les avocats, plus de 500 personnes seraient en attente d’un procès.
Une opposition en difficulté
En décembre 2012, juste avant les élections, Cheikh Sabah al-Ahmad a procédé à une modification du code électoral. Cet amendement défavorable à l’opposition a poussé les Koweïtiens par milliers dans la rue. Ils revendiquent plus d’ouverture politique, moins de corruption, et veulent pouvoir élire leur gouvernement. Le discours de Musallam al-Barrak prononcé après l’amendement a ouvert une brèche en désacralisant la figure de l’émir. A sa suite, les jeunes blogueurs se sont un peu enhardis. Mais, alors que le Koweït est considéré comme le pays le plus libre de la région, avec une réelle tradition politique, on n’a jamais vu autant de procès pour insultes à l’émir.
Il semblerait que les lignes rouges aient été franchies dans les deux sens, avec un avantage pour le pouvoir qui profite d’une opposition divisée entre les islamistes, les libéraux, et les tribaux. L’opposition, qui a boycotté les dernières élections législatives, n’a plus vraiment de levier politique. Les manifestations, elles aussi, se sont essoufflées avec l’arrivée de l’été et des températures frôlant les 40°C. De plus, beaucoup de jeunes militants se sont vu offrir des bourses d’études à l’étranger et ont quitté le Koweït. L’unique espoir pour l’opposition repose sur la date du 16 juin, quand la Cour constitutionnelle se prononcera sur le fameux amendement électoral. Si ce dernier est inconstitutionnel, il faudra alors annuler les dernières élections et en convoquer de nouvelles.