Daniel Jouanneau: «Nous ne devons pas sous-estimer l’importance des élections au Pakistan»

Ce samedi 11 mai 2013 vont se dérouler des élections cruciales pour l’avenir du Pakistan après une campagne électorale marquée par les violences. Il y a eu plus de 120 morts dans une série d’attentats, puis l’enlèvement, jeudi, du fils de Yousuf Raza Gilani, l’ancien Premier ministre pakistanais. Ces violences attribuées aux talibans pakistanais peuvent-elles faire dérayer le processus électoral ? Question posée à Daniel Jouanneau, ancien ambassadeur de France au Pakistan de 2008 à 2011.

Daniel Jouanneau : En dépit de ces violences, la campagne électorale s’est déroulée dans l’ensemble du pays. Il y a des talibans au Pakistan. Il n’y a pas seulement des talibans en Afghanistan, mais il y a d’autres formes de violences que le terrorisme des talibans. Il y a des attaques contre les chiites, contre la minorité hazâra. Le Pakistan est le deuxième pays chiite du monde après l’Iran. Il y a des actes terroristes entre sunnites, il y a des minorités religieuses qui font l’objet d’attentats très graves, les chrétiens, mais aussi les ahmadis qui sont considérés comme non musulmans. Et face à ces différentes formes de terrorisme, les autorités sont impuissantes. On a essayé la force, on a essayé le dialogue, rien n’a permis d’éradiquer ce terrorisme. La dernière chose qui est importante, c’est que même si le conflit afghan est réglé de façon satisfaisante, le terrorisme continuera au Pakistan. L’insécurité demeurera au Pakistan, car il y a de nombreuses formes de terrorisme qui n’ont rien à voir avec le conflit afghan.

Ces violences sont le fait principalement des talibans pakistanais. Ce sont des Pachtounes issus des zones tribales, mais qui frappent désormais principalement à Karachi. Pourquoi ont-ils déplacé de la sorte leur zone opératoire ?

Parce qu’à la suite des opérations de l’armée contre les talibans pakistanais qui sont implantés le long de la frontière afghane, beaucoup de Pachtounes se sont réfugiés à Karachi. Il y avait déjà des Pachtounes à Karachi et ils ont rejoint leurs familles, leurs amis. Et il y a un quartier entier de Karachi qui est maintenant gouverné par les talibans.

Si ces élections se déroulent normalement demain, si la participation est assez forte, le Pakistan va vivre sa première transition politique démocratique sans intervention de l’armée. C’est un moment très important dans l’histoire de ce pays ?

Nous ne devons pas sous-estimer l’importance de ces élections. C’est un événement majeur dans l’histoire du Pakistan. Jamais un Parlement, un gouvernement n’ont pu terminer leur mandat. Il y a toujours eu des coups d’Etats ou des crises politiques qui obligeaient le Premier ministre à s’en aller. Donc pendant ces cinq années, les institutions démocratiques ont été consolidées. Il faut mettre ceci au crédit de l’équipe sortante. L’année 2013 va être jalonnée d’échéances politiques importantes même si nous savons quel sera le futur Premier ministre, le gouvernement ne sera nommé qu’à la fin du mois de mai. En septembre, nous aurons l'élection présidentielle, un président de la République élu non pas au suffrage universel comme en Afghanistan, mais par un collège d’un millier d’électeurs. Ce sont ces grands électeurs qui vont être élus samedi. En novembre, il y aura un nouveau chef d’état-major de l’armée de Terre qui remplacera le général Kayani, grand acteur du jeu politique au Pakistan. Puis en décembre, un autre grand acteur de la vie politique va être désigné, le président de la Cour suprême. Donc c’est un nouveau paysage politique qui va commencer à se dessiner demain.

Deux hommes ont émergé durant cette campagne électorale : Nawaz Sharif, ancien Premier ministre pakistanais, et Imran Khan, ancien joueur de cricket et héros national pour avoir remporté la Coupe du monde. Vous avez rencontré en tant qu’ancien ambassadeur de France au Pakistan ces deux hommes. Imran Khan d’abord, comment expliquer son ascension politique assez fulgurante ?

Dans ce Pakistan qui a connu tellement d’échecs, il y a eu un grand succès, c’est la victoire en Coupe du monde de cricket en 1992 et Imran Khan était le capitaine de l’équipe du Pakistan. C’est un homme charismatique, un très bon orateur qui va beaucoup plaire aux jeunes, et notamment aux jeunes des grandes villes. Or au Pakistan, la moitié de la population à moins de 25 ans et les grandes villes se sont énormément développées. Donc, il peut faire un bon score, il peut avoir un nombre significatif de députés. Mais c’est un homme dont le programme est très flou. En réalité, il tenait en deux points : premièrement, faire partir les Américains d’Afghanistan, ça sera fait l’an prochain ; deuxièmement, lutter contre la corruption. Mais c’est un énorme problème. C’est aussi un homme qui n’a pas une équipe très conséquente. Et surtout, Imran Khan a toujours dit qu’il refuserait de participer à une coalition, or le système électoral pakistanais est fait de telle sorte qu’aucun parti ne peut vraiment avoir la majorité absolue. S’il veut peser sur le cours des choses, il faudra bien qu’il accepte de faire alliance avec Nawaz Sharif puisqu’on dit que Nawaz Sharif sera très probablement le vainqueur de ces élections.

Comment expliquer le retour en force de Nawaz Sharif, l’ancien Premier ministre, sur la scène politique pakistanaise ? N’est-il pas considéré comme un homme du passé par les Pakistanais ?

Il est considéré comme un homme d’expérience, parce qu’il a été Premier ministre deux fois. C’est le Premier ministre qui a décidé les essais nucléaires. Or le nucléaire, c’est la grande source de fierté pour tous les Pakistanais. C’est un Premier ministre qui a traversé une épreuve de force avec les militaires. Il avait évincé Pervez Musharraf (en 1998, il avait remplacé Pervez Musharraf alors chef de l’armée pakistanaise, alors que ce dernier était en déplacement au Sri Lanka, NDLR), et Musharraf s’était vengé en chassant Nawaz Sharif du pouvoir. Il est très implanté dans la plus grande province, le Pendjab, qui représente la moitié de la population du Pakistan. Son frère est Premier ministre de cette province. Et c’est un homme qui fait valoir son expérience et il a surtout une très forte volonté d’alternance chez les électeurs pakistanais parce que le bilan du parti du président Zardari est un bilan très décevant sur le plan économique et sur le plan des réformes.

Imran Khan et Nawaz Sharif proposent de dialoguer avec les talibans. Est-ce que cela peut marcher ?

L’expérience passée montre que non. Mais c’est vrai que Nawaz Sharif a toujours été proche des partis religieux et il a peut-être plus de chance qu’un autre de réussir ce dialogue.

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