Syrie: les rebelles salafistes d’al-Nosra «posent problème» aux Occidentaux

Al-Qaïda aurait uni ses forces en Irak et en Syrie. Le chef du Front jihadiste al-Nosra, en première ligne dans le combat contre le régime syrien, aurait annoncé ce mercredi 10 avril avoir prêté allégeance à Ayman al-Zawahiri, successeur d’Oussama Ben Laden. Annonce qui intervient alors que l’opposition syrienne doit rencontrer, cette semaine à Londres, les ministres des Affaires étrangères français, britannique et américain. Pour Gérard Chaliand, spécialiste des questions géostratégiques et en particulier des guérillas et du terrorisme, cela ne changera pas fondamentalement la donne.

RFI : Qui sont ces jihadistes d’al-Nosra, engagés contre Bachar el-Assad ?

Gérard Chaliand: Al-Nosra, ce sont, d’après ce qu’ils déclarent d’eux-mêmes, des salafistes. C’est-à-dire l’aile la plus radicale des islamistes militants. Il se trouve qu’ils sont les mieux organisés et les plus efficaces, à l’heure actuelle, à l’intérieur de l’ensemble des groupes qui forment l’insurrection très relâchée du côté syrien.

Quels sont les risques de la présence d’al-Nosra en Syrie ? Ils semblent nombreux. D’abord, cela crédite la thèse du gouvernement syrien, qui dit que les groupes armés sont des terroristes...

Tous les gouvernements disent que les opposants armés sont des terroristes. On a entendu ça, aussi, à propos de l’Afghanistan. Et nous sommes bien obligés de reconnaître qu’il s’agit bien d’une insurrection armée. En réalité, dans le cadre de l’insurrection syrienne, cette aile extrêmement active, extrêmement dynamique, pose problème. Elle pose problème aux Américains et aux Européens.

Al-Nosra va peser très fort dans ce qu’il va se passer, après la chute de Bachar el-Assad - qui paraît hautement probable. Rien n’est joué. En ce qui concerne al-Qaïda, ils ont l’habitude de revendiquer tout groupe qui marche. Je pense que cela aurait été plus crédible si al-Nosra disait : « Oui, nous demandons à être partie intégrante d’al-Qaïda ». Là, on aurait une preuve effective.

Bon, cela ne change pas grand-chose au fait que c’est une organisation efficace, et dangereuse, si l’on estime que le mieux, pour l’avenir, ce serait que les salafistes ne pèsent pas trop lourd dans la future configuration de la Syrie.

Est-ce que cette annonce de parrainage d’al-Qaïda peut freiner al-Nosra ?

Non. Je pense que ça ne les freinera pas du tout. Il y a longtemps qu’ils sont repérés par les services américains, français et britanniques. Il y a longtemps que l’on sait que ce sont des salafistes. Et qu’ils sont armés mieux que d’autres probablement, d’ailleurs, par nos excellents alliés saoudiens et qataris. Probablement… Je n’ai pas de preuve. Mais je ne vois pas qui d’autre pourrait les armer au point qu’ils disposent d’une efficacité largement supérieure, du point de vue de l’armement, par rapport aux autres. Ajoutons aussi leur esprit discipliné et leur cohésion.

Vous évoquez leur armement. Les Etats-Unis soutiennent l’opposition syrienne, mais refusent de fournir des armes, de peur qu’elles ne tombent dans les mains d’extrémistes...

Il y a longtemps qu’ils ont été repérés, qu’al-Nosra est sur la liste des organisations terroristes et que les Etats-Unis s’efforcent d’aider des mouvements moins extrêmes. Ceci dit, personne, dans une insurrection de ce type, ne contrôle l’ensemble de la situation. Ils vont de toute façon peser d’un poids non négligeable en cas de chute du régime. Celle-ci devrait se produire normalement au cours de cette année, encore qu’il s’agit d'être prudent. Il n’était pas prévu qu’il puisse durer aussi longtemps.

Selon Sana, l’agence de presse officielle syrienne, ce parrainage est « un test pour la crédibilité de l’ONU, du Conseil de sécurité et des pays indépendants. Ils doivent choisir entre l’alignement sur le terrorisme représenté par al-Qaïda, et le droit du peuple syrien et de son gouvernement à combattre le terrorisme. » Est-ce que l’on peut résumer la situation de cette manière ?

Non, absolument pas. De toute façon, le choix est fait depuis longtemps. Ni les Etats-Unis, ni leurs alliés, avec en première ligne la France et la Grande-Bretagne, n’ont eu la moindre hésitation sur qui soutenir à l’intérieur de l’ensemble de la nébuleuse de l’insurrection : c’est, justement, ce qui n’est pas al-Nosra.

Al-Nosra a l’intention d’instaurer une gouvernance islamique dans la Syrie de l’après Bachar el-Assad. C’est une grande différence avec ce que souhaite l’ASL, la principale composante de l’opposition...

Oui, il y a des divergences sérieuses sur le futur régime. Rien n’est joué. On peut en tous cas estimer qu’al-Nosra représente une nuisance sérieuse.

C’est un coup porté à l’opposition syrienne ?

Non. Le fait qu’al-Qaïda annonce qu’al-Nosra ferait partie de son organisation ne change rien à ce qu’il se passe depuis trois jours.

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