RFI : Viser comme cela des observateurs de l’ONU dans cette région, c’est totalement inédit ?
Frédéric Encel : C’est absolument inédit. C’est une première. Il faut savoir que cette force d’observation se trouve sur le plateau du Golan, très exactement depuis le 31 mai 1974, c’est-à-dire depuis l’accord de désengagement militaire entre la Syrie d’une part et Israël d’autre part, donc sous supervision bien évidemment de l’ONU à l’époque. Tous les six mois depuis 1974, vous avez une résolution qui d’ailleurs est votée par le Conseil de sécurité de manière absolument systématique à l’unanimité et qui renvoie, refixe, les quelques centaines d’observateurs sur place et il n’y avait absolument jamais eu le moindre incident ni du côté syrien, ni du côté israélien pour ces observateurs.
Pourquoi précisément ce mercredi 6 mars les rebelles s’en sont pris à ces observateurs ?
Les rebelles syriens tentent le tout pour le tout. Ils font feu de tout bois, ils n’ont pas d’armement lourd, la communauté internationale bloque car Moscou et Pékin sont indéfectiblement derrière Assad. Et par conséquent, ils tentent d’étendre le conflit ou en tout cas de provoquer des réactions diplomatiques, voire peut-être militaires d’autres Etats et en particulier dans cette région très sensible. Du côté israélien de la frontière, en général on n’a pas beaucoup d’humour, et on l’a vu il y a quelques mois, personne n’entre en Israël impunément ou en tout cas sur le territoire contrôlé par Israël. Et par conséquent, le fait de prendre en otage des observateurs onusiens, ça fait bien évidemment réagir Ban Ki-moon. Pour le coup, c’est quand même « ses » hommes qu’on vient de prendre en otage. Cela va faire réagir un certain nombre d’Etats, en l’occurrence les Philippines, mais pas seulement. Il y a aussi des observateurs japonais qui se trouvent sur le plateau du Golan depuis 1974 et qui y sont en alternance. Donc le Japon n’est pas un petit pays. Puis, cela fait réagir nécessairement, inéluctablement Israël. Et de point de vue-là, on a une tentative de la part des insurgés de ne pas rester dans une espèce de face-à-face avec Bachar el-Assad.
Et quand justement ces insurgés reprochent à cette force de l’ONU de travailler avec les Syriens, est-ce que c’est vrai ?
Oui et non. Oui dans la mesure où aujourd’hui officiellement aux yeux des Nations unies – et ces hommes sont des observateurs des Nations unies -, il y a un régime légal parce qu’encore au pouvoir en Syrie, c’est le régime de Bachar el-Assad. On peut toujours philosopher sur le caractère illégitime de ce pouvoir assassin, de ce pouvoir épouvantable, mais il y a une loi internationale et la loi internationale, en général elle supporte assez peu d’interprétations évanescentes. Donc aujourd’hui aux yeux de l’ONU, il y a de part et d’autre deux Etats-nations constitués, légaux : le premier c’est la Syrie dominée par Bachar el-Assad et de l’autre, côté versant occidental, c’est Israël. Oui, de ce point de vue-là, à chaque fois qu’il y a supervision du moindre incident, lorsqu’on se transmet des habitations, lorsque les forces de l’ONU qui se trouvent sur le plateau du Golan doivent aller demander quelque chose de l’autre côté de la frontière, mais pas grand-chose, ne serait-ce que des petits moyens matériels ou poser une question logistique, elles s’adressent à qui ? Elles s’adressent à l’armée officielle qui est toujours actuellement en place, en tout cas sur l’essentiel du territoire syrien.
Est-ce que cet enlèvement risque de menacer à l’avenir la présence de ces observateurs dans la région ? En tout cas, c’est ce que craint Israël.
C’est ce que craint Israël et l’ONU risque de sortir à terme ses hommes si leur sécurité n’est pas garantie. Remémorons-nous cet incident de mai 1967 : le président égyptien Gamal Abdel Nasser avait sorti manu militari le cordon de casques bleus qui assuraient la sécurité de la frontière entre l’Egypte et Israël. A partir du moment où il avait dit « leur sécurité n’est plus assurée », le secrétaire général de l’époque avait - bien évidemment à la demande des Etats dont sont ressortissants ces casques bleus - décidé de les « dégager » pour employer un terme à la mode au Proche-Orient. Donc c’est ce qui risque de se passer. Et si c’est ce qui se passe, les Israéliens se retrouveront directement face à l’inconnue, c’est-à-dire en Syrie demain, on ne sait pas ce qui va se passer, on ne sait pas qui il y aura au pouvoir. Il faut bien considérer que dans cette géographie compliquée qu’est le plateau du Golan, il n’y a pas de barrières. Il n’y a pas de barrière de sécurité, pas de mur. Autrement dit, c’était jusqu’à présent et c’est jusqu’à présent le mince cordon, le très mince cordon - parfois pas plus de 200 mètres de large - tenu par les casques bleus qui assuraient et qui assurent depuis 1974 le tampon entre la frontière entre la Syrie et Israël.
____________________________________
Frédéric Encel est l’auteur de Atlas géopolitique d'Israël – Les défis d’une démocratie en guerre (Nouvelle édition augmentée). Editions : Autrement.