De notre envoyé spécial
« Il arrive ici environ une vingtaine de nouvelles familles chaque jour », dit calmement le responsable du camp de Atmeh/Bükülmez, Ziyad Arour, un civil du village voisin qui convient que le principal problème auquel il doit faire face, c’est « l’eau et la boue ». Comme cette situation risque de durer - sans doute « un an jusqu’à la chute du régime » baasiste, dit-il dans un soupir - et que depuis 6 mois le provisoire a changé ce campement à la belle étoile en une ville de 12 500 habitants, il est temps d’entreprendre des infrastructures à la hauteur des besoins. Mahmoud el-Ahmad explique devant sa pelleteuse : « les eaux usées ruisselantes amèneront mauvaises odeurs, maladies et moustiques, alors nous installons des latrines et des canalisations ».
Plus bas dans ce camp sous les oliviers à flanc de colline, à quelques pas des barbelés marquant la frontière et le poste de l'armée turque, quatre Européens travaillent aussi à la pose du réseau d’évacuation des eaux sales. Bernard, Aurore, Stacey et Jacques (prénoms d’emprunt) ont été recrutés par l’organisation humanitaire Medical Relief for Syria, ou envoyés par une association internationale connue (dont la présence doit rester secrète). Ils disent « faire de la prévention » en construisant un réseau d’assainissement « provisoire, mais efficace ». Selon le médecin du camp, Mohamad Abdel Salam, le principal diagnostic des quelque 300 patients qui viennent le voir chaque jour, « c’est la bronchiolite, parce que les conditions sont rudes ».
Eau chargée de détritus
Devant sa tente, Khalid tient un sac rempli de médicaments pour ses six enfants au nez coulant et qui toussent. « Il fait froid et ils sont sans cesse malades », dit-il. Quand sa maison a été détruite à Habeit (province d’Idleb) le mois dernier, ce fermier a voulu fuir en Turquie. Mais faute de papiers (Ankara n’accepte, depuis août, que les détenteurs d’un passeport), il a dû s’arrêter là : « On a tout juste de quoi manger, à peine de quoi se chauffer, et on ne peut aller aux toilettes et prendre une douche que de temps en temps », explique-t-il. « Je me demande comment cela va être cet été, car je pense que la situation va encore durer, et cela va être très difficile », prévoit Khalid. Aujourd’hui, malgré un grand soleil, les températures nocturnes sont en dessous de 0°C. Partout entre les tentes serpentent des filets d’eau chargée de toutes sortes de détritus, au milieu desquels les enfants jouent.
La neige est récemment tombée en quantité sur la région. Dans les camps de Qah (à quelques kilomètres d’Atmeh), de Hacipasa, de Topraktutan - dans la province d’Antakya - ainsi que dans celui de Bab-el-Salama/Kilis, totalisant en tout près de 50 000 personnes, elle n’est pas partout fondue et les flaques d’eau restant à l’ombre demeurent gelées jusqu’à midi. Grâce aux tentes distribuées par les gouvernements turc, qatari et saoudien, à l’approvisionnement alimentaire quotidien et à la distribution de matelas, de couvertures et d’habits par le Croissant-Rouge et les organisations humanitaires turques, le pire est pour l’instant évité. Mais tout indique que le flux des candidats à l’exil bloqués à la frontière ne se tarira pas de sitôt. Et nécessitera toujours plus d’aide extérieure.