De notre correspondant à Beyrouth,
Depuis le début des événements en Syrie, en mars 2011, le gouvernement libanais a adopté la politique dite de « dissociation » dans le but d'empêcher la contamination du Liban par la crise qui secoue son voisin. Les Libanais, divisés entre partisans de l'opposition et amis du régime, espéraient que cette neutralité officielle cantonnerait le débat sur la Syrie au domaine politique. Mais avec l'augmentation du nombre de Libanais morts en combattant pour un camp ou pour l'autre, il ne sert plus à rien de se cacher derrière son petit doigt : l'implication des Libanais dans la guerre en Syrie a depuis longtemps dépassé le cadre politique.
La disparition, vendredi 30 novembre, d'un groupe de 25 islamistes partis combattre en Syrie a ramené tout le monde à cette réalité inquiétante. Les jihadistes sont tombés dans une embuscade tendue par l'armée régulière syrienne après s'être infiltrés dans la région syrienne de Tal Kalakh, au nord-est du Liban, en provenance de la région à majorité sunnite du Akkar. Donnés tous pour morts, il semblerait que quelques-uns aient réussi à s'échapper vers des régions contrôlées par les rebelles. D'autres ont été tués et plusieurs ont été fait prisonniers.
La télévision d'Etat syrienne a montré des images de cadavres de jeunes gens barbus gisant à côté de leurs armes et des pièces d'identité libanaise. Des sources de sécurité libanaise et les familles des victimes ont confirmé les faits. Très vite, une forte tension est apparue à Tripoli au nord du Liban d'où sont originaires la plupart des membres du groupe.
Des coups de feu ont été tirés en direction du secteur alaouite de la ville, théâtre de flambées de violence cycliques entre les quartiers sunnites de Bab Tebbané et alaouite de Jabal Mohsen. L'armée libanaise a renforcé ses patrouilles pour éviter un embrasement généralisé. Des députés islamistes membres du Courant du futur de l'ancien Premier ministre Saad Hariri ont salué le « martyre » de ces jeunes gens. « Nous sommes fiers d'eux, ils sont morts pour la bonne cause», a déclaré Mouïn Merhebi, député du Akkar.
Deux cents morts
Interrogées par RFI, des sources islamistes au Liban-Nord ont estimé à quelque 200 le nombre de Libanais tués ou disparus en combattant dans les rangs des rebelles syriens. La semaine dernière, Damas avait remis au Conseil de sécurité de l'ONU une liste de 143 « terroristes islamistes étrangers » tués par les forces syriennes. Parmi eux figurent cinq Libanais.
Cette affaire a coïncidé avec des révélations faites par le quotidien libanais Al-Akhbar sur la supposée implication du chef de l'opposition libanaise, Saad Hariri, dans le financement et l'armement des rebelles syriens. Le journal, proche de la majorité, a publié la transcription d'enregistrements sonores où l'on peut reconnaitre la voix de l'un des proches collaborateurs de Saad Hariri, le député Okab Sakr, en train de discuter de livraison d'armes avec des interlocuteurs présentés comme des chefs insurgés syriens.
Le Hezbollah aussi
Les islamistes sunnites ne sont pas les seuls à tomber en Syrie. Début octobre, le Hezbollah chiite avait annoncé la mort de l'un de ses chefs militaires, Ali Hussein Nassif, en « accomplissant son devoir de jihad ». Quelques jours plus tard, le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a reconnu que le Hezbollah encadrait les habitants libanais de 23 villages situés en Syrie. Quelque 33.000 Libanais vivent du côté syrien de la frontière dans une zone qui n'est pas encore délimitée au nord-est du Liban.
En majorité chiites, ils auraient formé une force combattante de 5.000 hommes pour défendre leurs villages dans les régions stratégiques de Joussié et de Qousair. Ils seraient entrainés et vraisemblablement armés par le Hezbollah, qui dispose de bases et de dépôts d'armes dans cette zone. Des funérailles de plusieurs autres membres du Hezbollah morts « au jihad » ont eu lieu dans des villages de la plaine de la Békaa et du Liban-Sud.
Divisés politiquement, les Libanais s'affrontent indirectement sur le territoire syrien. Dans ce climat de tension extrême, les soupapes de sécurité qui empêchent un combat direct sur le sol libanais risquent de ne plus résister longtemps.